Outre-mer - Au Togo les forces armées déjouent une tentative de coup d'État - Dans les provinces portugaises africaines, nouvelle relance des activités militaires et diplomatiques - Sur la côte et en Afrique orientale, la Chine populaire s'efforce de consolider sa présence
Au Togo, les forces armées déjouent une tentative de coup d’État
Dans la nuit du 8 au 9 août 1970, les forces armées togolaises ont procédé à Lomé à l’arrestation de dix-sept personnes qui s’apprêtaient à déclencher un coup d’État. Mais il est apparu très vite que cette tentative n’était en fait qu’une action isolée n’ayant aucune assise sérieuse, ni politique, ni populaire.
D’après le communiqué officiel publié à cette occasion, les arrestations ont été opérées au cours d’une perquisition au domicile d’un fonctionnaire de la police chez lequel s’étaient réunis divers opposants au régime, groupe hétéroclite de quelques Togolais auquel s’étaient joints en majorité des ressortissants dahoméens et ghanéens. Au cours de ces arrestations, un ancien député qui tentait de s’enfuir devait être abattu, mais à aucun moment l’ordre public n’avait été troublé ni dans la capitale, ni dans le reste du pays. Selon les déclarations faites en public par deux des conjurés dahoméens, l’affaire avait été montée par un commissaire de police, M. Osseyi, chez lequel les comploteurs se trouvaient réunis et par un ex-député, M. Clément Kolor, qui devait être tué. Ceux-ci avaient trouvé des complaisances à l’étranger et en particulier l’appui financier d’un avocat réfugié à Cotonou depuis 1966, M. Noé Kutuklui, ancien leader du Comité de l’unité togolaise, le CUT, parti du président Olympio, renversé dans les circonstances que l’on sait lors du coup d’État militaire de 1963. De l’aveu même du commissaire Osseyi, il s’agissait d’éliminer physiquement le chef de l’État et son entourage, de s’assurer du contrôle de l’armée, mais aucun plan précis n’avait été conçu, hormis le fait que cette action, aussi improvisée qu’elle fût, devait être déclenchée aussitôt la réunion clandestine terminée.
Sans doute, le Togo connaît, depuis janvier 1967, date de l’accession au pouvoir du général Eyadema, un calme et une stabilité politique remarquables. Cela est dû à la politique à la fois ferme et avisée du chef de l’État, mais il n’empêche qu’il subsiste quand même certaines rivalités ethniques qui, dans un passé encore récent, ont pu marquer l’opposition traditionnelle existant entre le nord et le sud du pays. Quoi qu’il en soit, les conjurés, escomptant raviver ces querelles, avaient tablé sur leur réveil pour satisfaire leurs ambitions. C’était bien mal apprécier la situation actuelle, car leur tentative n’a trouvé aucun écho dans les populations. Bien au contraire, dans les jours qui ont suivi la découverte du complot, l’armée et les membres du bureau politique du Rassemblement du peuple togolais (RPT), parti du général Eyadema, se sont déclarés pleinement solidaires de ce dernier et, le 18 août, à Lomé, une importante manifestation qui groupait quelque cinquante mille personnes devait confirmer au chef de l’État l’attachement du peuple à son régime. Entre-temps, le 12 août, les trois présidents dahoméens qui président actuellement aux destinées du Dahomey étaient venus à Lomé affirmer ensemble au général Eyadema que des mesures de sécurité nécessaires avaient été prises contre les conjurés réfugiés au Dahomey et notamment à l’encontre de M. Kutuklui dont l’expulsion était décidée. Du côté ghanéen, aucune déclaration officielle n’a été faite concernant la participation de nationaux ghanéens au complot. Mais la remise aux autorités de Lomé de deux conjurés togolais réfugiés au Ghana apporte la preuve que le gouvernement d’Accra désire resserrer ses liens avec le Togo et effacer le malaise qu’avait fait naître, il y a quelques mois, sa décision d’expulser, dans le cadre de sa politique de « ghanaïsation » des emplois, de nombreux ressortissants togolais.
Aussi cette tentative de coup d’État n’a rencontré qu’une audience très limitée. Elle apparaît en définitive comme une action isolée d’ambitieux, sans aucune assise politique et populaire. Elle aura permis au contraire au général Eyadema de saisir une occasion pour renforcer la cohésion nationale togolaise en même temps que la stabilité politique du pays.
Dans les provinces portugaises africaines, nouvelle relance des activités militaires et diplomatiques
L’audience accordée cet été par le Souverain Pontife, Paul VI, à des nationalistes africains en lutte contre le gouvernement de Lisbonne, les incidents de frontière entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, incidents dont a eu à connaître une fois encore le Conseil de sécurité de l’ONU, la recrudescence des activités en Angola comme au Mozambique, et le bruit fait autour de ces problèmes dans les instances internationales et à l’OUA en particulier témoignent tout à la fois du désir des nationalistes africains d’appeler à nouveau l’attention sur la situation dans les provinces africaines portugaises et de la volonté du gouvernement portugais de poursuivre la réalisation de sa politique africaine.
En Guinée-Bissau, l’action tenace poursuivie méthodiquement depuis plusieurs années par les Portugais ne s’est pas seulement réduite aux seules opérations militaires. Sans doute, ces temps derniers, toute une série d’opérations ont bien été menées dans le sud-est de la province, permettant aux unités portugaises de détruire plusieurs camps de guérilleros du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et des Îles du Cap Vert – le PAIGC – et de récupérer bon nombre d’armes ou de matériels divers. Mais elles ont été doublées par d’habiles actions à caractère psychologique et social, de sorte que, dans certains secteurs, les autorités portugaises ont réussi à reprendre en main de nouvelles populations et même, par le biais des autodéfenses ou la mise sur pied d’unités de supplétifs, à les associer à leur politique.
Pour freiner une évolution dont il n’a pas manqué de sentir les dangers, le PAIGC s’est employé de son côté, et avec plus d’âpreté depuis cet été semble-t-il, à faire diversion aux frontières, zones sensibles en raison des résonances internationales immédiates des incidents dont elles sont le théâtre. En effet, du 17 au 24 mai, des guérilleros basés à la frontière sénégalaise, sans qu’il soit toujours possible de dire avec certitude si ces « bases » sont bien ou non situées en territoire sénégalais, ont effectué une série de bombardements contre des villages guinéens dans la zone du front nord, au sud de Zingunchor, dans le même temps où d’autres villages guinéens à la corne nord-est du territoire étaient également bombardés à partir de « bases » semblables situées en Giunée-Conakry. La réaction de l’artillerie portugaise fut, semble-t-il, efficace. Quelque temps plus tard, le 6 juillet, les Portugais, agissant sans doute à titre préventif, pénétraient en Casamance pour y incendier un village suspect. Réagissant en force, les 12 et 13 juillet, le PAIGC s’en prenait alors, avec un commando de quelque 300 hommes bien armés, au village de Pirada, proche d’un poste militaire portugais près de la frontière, et la population civile déplorait une quinzaine de morts et environ quarante blessés. Le soir même l’artillerie portugaise bombardait en représailles un autre village sénégalais jugé suspect, tuant notamment deux civils sénégalais. À la suite de cette affaire, le gouvernement sénégalais, après avoir porté plainte à l’ONU, renforçait comme il le pouvait son dispositif de sécurité le long de sa frontière et s’efforçait par une action diplomatique parallèle de faire pression sur les Portugais afin d’éviter le retour de pareils incidents.
Dans la situation présente, cela est évidemment bien difficile à obtenir. Les affinités tribales jouent de part et d’autre de la frontière qui reste perméable et difficilement contrôlable. Certes, ni le Sénégal ni le Portugal n’ont intérêt à voir se déclencher un processus d’escalade automatique de leurs réactions à chacun des incidents qui ont leur origine dans les agissements du PAIGC. Seul ce dernier peut espérer trouver avantage dans une détérioration progressive de la situation, ne serait-ce qu’en conservant l’espoir de voir le Sénégal durcir ses positions et finir par accorder aux commandos nationalistes les mêmes facilités que celles qu’ils ont obtenues en Guinée-Conakry et qui leur ont permis de recevoir leurs armes des Soviétiques, de s’instruire avec l’aide des Cubains et d’agir vers la Guinée-Bissau en toute tranquillité.
Pour le moment, les Portugais contiennent les nationalistes dans des régions qui ne présentent guère d’intérêt et, aux frontières, ni le gouvernement de Dakar ni celui de Lisbonne ne veulent envenimer les choses, bien que d’autres incidents de ce genre ne soient malheureusement pas à exclure.
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En Angola, dans le même temps, les activités des divers groupes des mouvements de libération connaissent une certaine recrudescence. Sans doute les divergences des options politiques freinent toujours leur efficacité, mais certains d’entre eux, peut-être mieux organisés, se sont aventurés depuis quelques mois en opérant dans des zones inhabituelles. Les incidents les plus importants se sont en effet situés sur la côte au sud d’Ambriz, dans le secteur à l’ouest de Carmona dans l’Uige, à l’ouest de Teixeira de Souza dans le Lunda, à l’ouest de Vila Luso et à l’est de Serpa Pinto dans le Moxico. Mais les nationalistes, quels qu’ils soient, se sont abstenus comme à l’accoutumée, de s’en prendre aux installations ferroviaires du chemin de fer du Benguela, qui permettent l’évacuation vers la mer d’une grande partie du cuivre congolais et zambien. Les Portugais pour leur part continuent d’appliquer leur effort principal à proximité des terres de colonisation, sur le massif des Dembos où ils ont enregistré d’ailleurs ces temps-ci des succès appréciables. S’ils peuvent, dans une certaine mesure, se préoccuper d’une extension possible des zones d’insécurité dans des régions où l’étendue du territoire et son sous-peuplement jouent autant contre leurs adversaires que contre eux-mêmes, il n’en reste pas moins que leurs moyens leur permettent dans le territoire de tenir la situation en main.
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Au Mozambique, depuis juin dernier, les forces portugaises se sont lancées dans une nouvelle série d’opérations politico-militaires qui ont porté des coups sérieux aux groupes des nationalistes fort désunis et dont les activités paraissent en régression constante depuis plus d’un an.
C’est ainsi que des « bases » du Front de libération du Mozambique (FRELIMO) ont été démantelées, des camps détruits, un important matériel récupéré dans le secteur de Cabo Delgado dans le nord du pays et que des opérations plus limitées mais efficaces ont de même été menées dans les districts de Nyassa et de Tete malgré une certaine agressivité de groupes de guérilleros qui minent les voies de communication notamment dans le district de Nyassa. Les dissensions internes du FRELIMO, marquées récemment par l’éviction d’un de ses principaux leaders, Uria Simango, la création récente d’une organisation rivale qui recevrait l’aide de la Chine populaire servent l’action portugaise qui se développe ici comme ailleurs à la fois sur les plans militaire, psychologique et social.
La réalisation en cours du barrage de Cabora Bassa témoigne de la confiance des Portugais dans l’avenir du Mozambique ainsi que de leur détermination pour qu’il s’accomplisse au sein d’une communauté luso-africaine.
La recrudescence des activités des nationalistes, constatée d’une manière générale ces temps-ci dans les trois provinces portugaises, ne semble pas fortuite. Elle coïncide en effet avec une campagne menée en Europe occidentale pour faire échouer le projet de Cabora Bassa et a précédé la réunion à Rome, du 27 au 29 juin, de la Conférence des organisations nationalistes des colonies portugaises (CONCP) tenue en présence d’une cinquantaine de pays d’Afrique, d’Europe, d’Asie et d’Amérique et dont le principe avait été décidé dès janvier 1969 à Khartoum lors de la Conférence de solidarité avec les peuples des colonies portugaises et avec ceux d’Afrique du Sud et de Rhodésie, réunie à l’initiative d’organisations mondiales inféodées aux Soviétiques.
Dans ce contexte, l’intensification des opérations militaires menées par les Portugais dans les trois territoires n’est peut-être pas non plus fortuite. Il n’est pas impossible qu’elle s’inscrive dans le cadre d’une riposte globale qui a déjà amené le Portugal à réagir sur le plan diplomatique, notamment lors de l’audience accordée par le Pape aux leaders nationalistes des trois pays.
Tous ces problèmes, une fois de plus, viennent d’être évoqués au dernier « sommet » de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) qui a réuni à Addis-Abeba, au début de septembre, les chefs d’État africains. Ceux-ci, dans leur résolution finale, ont condamné le Portugal et les pays qui lui fournissent des armes, mais le chef de l’État zambien [NDLR 2020 : Kenneth Kaunda], confirmant en cela le processus de dialogue qu’il avait déjà suggéré lors du « manifeste de Lusaka » [1969], a affirmé que « l’Afrique était prête à négocier avec le Portugal » et qu’il était mandaté par ses pairs pour conduire, après la conférence des pays non-alignés, une délégation africaine chargée de s’entretenir de ces questions avec les gouvernements intéressés. L’espoir d’un éventuel compromis n’est donc pas totalement rejeté. Mais ses chances à l’heure actuelle apparaissent encore bien minimes.
Sur la côte et en Afrique orientale, la Chine populaire s’efforce de consolider sa présence
Nous avions déjà eu l’occasion de souligner (1) combien la Chine populaire s’intéressait aux pays d’Afrique orientale et les efforts qu’elle tentait pour prendre pied dans ces régions. La signature presque simultanément d’accords de coopération d’une part avec la Tanzanie et la Zambie, d’autre part avec le Soudan comme avec la Somalie attestent les progrès de cette politique de présence.
C’est en effet le 12 juillet dernier qu’a été signé à Pékin entre les hautes autorités chinoises et les ministres des Finances de la Tanzanie et de la Zambie l’accord définitif pour le financement et la construction de la voie ferrée devant relier Dar-Es-Salam à Lusaka. Cet accord intervenait après une longue négociation où furent débattus non seulement les conditions du financement mais aussi les problèmes de l’aide technique chinoise, en personnels notamment.
Pour ce qui est du financement, il a été prévu que le gouvernement de la Chine populaire accordait aux deux États africains un prêt sans intérêt d’environ 370 millions de dollars (2 000 M de francs), remboursable en trente ans à partir de 1973. Sur ce total, 350 M $ seront consacrés à la construction proprement dite de la voie ferrée, et le reste à la fourniture du matériel roulant. Les dépenses effectuées localement par les Chinois – salaires des travailleurs africains, location des services d’entreprises africaines par exemple – seront financées par les deux États africains selon des modalités particulières qui prévoient d’ailleurs qu’ils achèteront pour des sommes équivalentes des marchandises chinoises.
Pour ce qui est de l’aide technique chinoise en personnels, aucune indication officielle n’a encore été fournie à ce sujet. Mais on sait déjà qu’indépendamment des techniciens qui ont procédé à l’étude du tracé de la voie ferrée, les premiers ingénieurs et techniciens chinois sont en place en Tanzanie depuis le début de l’année pour permettre le démarrage des travaux et que plusieurs centaines de nouveaux experts seraient arrivées depuis juin. D’autres ne devraient pas manquer de suivre, étant donné l’importance de l’affaire qui permet à la Chine d’appliquer là, dans une opération à caractère à la fois idéologique, politique et économique, son effort principal en Afrique qui lui offre de multiples possibilités.
La Chine populaire d’autre part était déjà présente en Somalie avant le coup d’État du 21 novembre 1969 qui portait au pouvoir l’équipe gouvernementale actuelle du général Syad. Mais, sur un crédit d’environ 20 M $ accordé en 1963, une faible partie avait été utilisée pour la construction d’un théâtre national à Mogadiscio ainsi que pour la réalisation de différentes opérations agricoles.
Dans le but sans doute de diversifier les aides étrangères – et l’on sait qu’en Somalie si les aides occidentales demeurent importantes, les aides et l’influence soviétiques sont grandissantes depuis le coup d’État – les nouveaux dirigeants somaliens ont répondu aux avances de la Chine populaire qui cherchait à profiter des circonstances pour réactiver dans ce pays ses entreprises de coopération.
Le général Mohamed Ainanshe, vice-président du Conseil révolutionnaire somalien, s’est ainsi rendu à Pékin à la fin du mois de juin 1970 où il a signé un nouveau protocole d’accord qui consacrait la reprise de l’aide chinoise économique et technique. Celle-ci se cantonne encore dans un domaine relativement modeste : expérimentations agricoles, irrigation, forage de puits, construction d’une régie nationale des tabacs, assistance médicale. Quoi qu’il en soit, une centaine d’experts travaillent ainsi à renforcer cette présence de la Chine populaire dans la Corne orientale de l’Afrique au moment où cette zone risque de retrouver un intérêt stratégique évident, dans l’hypothèse d’une réouverture même encore très lointaine du canal de Suez.
Au Soudan, les relations diplomatiques avec la Chine populaire datent de 1958, mais l’aide financière et technique accordée par Pékin et résultant d’un accord datant de 1966 était restée très limitée. Il a fallu attendre le coup d’État militaire de mai 1969 pour que celles-ci connaissent un nouvel essor. Désireux également de diversifier les aides étrangères, le gouvernement de Khartoum, qui entretient lui aussi des relations étroites avec l’Union soviétique, laquelle lui accorde une aide importante, spécialement pour l’armée, s’est résolu à renouer des relations avec la Chine populaire qui trouvait là l’occasion, comme en Somalie, de faire pièce aux Soviétiques dans un pays charnière entre le monde arabo-berbère et le monde noir. C’est ainsi que le ministre des Finances soudanais a pu se rendre à Pékin en juin dernier où il obtenait un prêt d’environ 4 M $ remboursable en produits agricoles. C’était l’amorce de deux nouveaux accords, l’un de coopération économique et technique, l’autre de coopération culturelle et technologique. Ils devaient être signés à Pékin en août par le général Gaafar al Nimeïry, président du Conseil de la révolution soudanaise. Ainsi l’introduction du partenaire chinois dans le jeu des influences étrangères au Soudan peut apparaître comme un élément nouveau qui n’est sans doute pas du goût ni des Occidentaux ni de celui des Soviétiques, mais qui souligne les efforts de Chine populaire pour tirer parti avec habileté de toutes les situations favorables de manière à consolider sa présence et par là même son action en Afrique et spécialement en Afrique orientale.
C’est sans doute ce que devrait confirmer prochainement le voyage dans ces pays du Premier ministre chinois, voyage qui pourrait faire suite à celui prévu au Sud-Yémen. ♦