Défense en France - Bilan sommaire d'exécution de la 2e loi de programme - Les exportations de matériels d'armement - Mise en place du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM)
Bilan sommaire d’exécution de la deuxième loi de programme
Sans attendre un compte rendu définitif, l’étude des résultats de 1970, dernière année d’exécution de la deuxième loi de programme, permet d’avoir une idée sur la réalisation du plan militaire 1965-1970.
L’examen des six années de la 2e loi de programme qui, rappelons-le, ne comportait que les programmes majeurs soit environ les 2/3 des crédits d’équipement prévus par le 2e Plan, fait apparaître une diminution des crédits de paiement et une augmentation des autorisations de programme par rapport aux prévisions. Pourquoi ces différences ?
Les crédits de paiement (CP) du titre V ont été, sauf en 1965, tous les ans inférieurs aux montants prévus par le plan. En particulier à partir de 1968 ils ont dû être amputés pour faire face aux dépenses du titre III qui, en raison des événements, se sont fortement accrues par rapport aux estimations initiales. Au total, les Armées n’auront reçu, en six ans, que 145 milliards au lieu des 149 envisagés en 1965. Ce déficit a été encore fortement aggravé, sur le plan du pouvoir d’achat, par les hausses annuelles des prix « Armement » qui ont atteint jusqu’à 10 % en 1968, et qui, sur la période considérée, ont été en moyenne supérieures de 1,5 % à la hausse générale des prix. C’est dire que le déficit pratique a donc dépassé en fait 10 Md.
Les autorisations de programme (AP) ont dû être majorées de plus de 3 Md, soit environ 6 %, pour faire face aux hausses économiques résultant soit de l’évolution générale des conditions économiques soit, pour les programmes prioritaires, de la nécessité de surmonter des difficultés techniques imprévues. L’augmentation des AP a été particulièrement sensible en ce qui concerne l’avion-école et d’appui tactique Sepecat Jaguar (+ 300 %), les études, fabrications et déploiement des engins vecteurs (+ 120 %), les Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et leur environnement (+ 82 %) les études de matériels navals (+ 52 %). Cette majoration des autorisations de programme n’a pu être obtenue qu’en opérant des choix.
La recherche a été soutenue au détriment de certaines études générales.
La Force nucléaire stratégique (FNS), bénéficiant d’une priorité absolue, s’est développée conformément aux prévisions.
L’Armée de l’air a remplacé dans ses programmes la fabrication du Mirage à décollage vertical par celle de l’intercepteur F1 et la construction d’engins sol-air moyenne portée a dû être ajournée. Le Jaguar n’a pu être commandé qu’à 100 exemplaires au lieu des 150 prévus.
De son côté, la Marine a dû renoncer à construire un sous-marin de chasse, un dragueur océanique et 3 des 8 chasseurs de mines inscrits au plan et à acheter 6 hélicoptères lourds SA321 Super-Frelon.
Quant à l’Armée de terre, elle a vu sérieusement réduits ses programmes de blindés légers (– 55 %) et de missiles antichars et antiaériens (– 44 %) tandis que toutes les autres tranches d’AP ont été diminuées, sauf celle de l’AMX-30. C’est ainsi que sur les 1 400 chars AMX-10 prévus, 80 ont été commandés ; le programme sol-air courte portée Roland a été reporté. Mais les 130 hélicoptères de manœuvre SA330 Puma ont été commandés et le programme d’armement nucléaire tactique Pluton se déroule de manière satisfaisante. Fin 1970, le char AMX-30 n’équipe que 7 brigades mécanisées au lieu des 9 prévues, le groupe d’Aviation légère de l’Armée de terre (Alat) du 1er Corps d’armée et une division sont dotés de l’hélicoptère de manœuvre, mais l’équipement en camionnettes et camions tactiques accuse un retard d’un an. Les forces de défense du territoire effectuent leur modernisation au rythme de celle des forces de manœuvre dont elles reçoivent les équipements.
L’équipement d’infrastructure des trois Armées s’est poursuivi malgré certains retards variables selon les secteurs.
En résumé, l’exécution de la 2e loi de programme aura permis des réalisations marquantes dans le domaine de la FNS : perfectionnement du premier système (Mirage IV - Bombe A), prochaine mise en service du deuxième (SSBS ou Sol-sol balistique stratégique), poursuite conforme aux prévisions du troisième système (SNLE-MSBS ou Mer-sol balistique stratégique), mais au prix d’ajournements et de reports dans la modernisation de matériels classiques. Il en résulte que, si le programme d’ensemble est maintenu, c’est avec un certain décalage dans le temps.
Il est donc normal de retrouver dans les options de la 3e loi de programme (voir RDN de décembre 1970) les préoccupations qui ont guidé l’exécution de la 2e.
Les exportations de matériels d’armement
Le montant des commandes d’exportation de matériels d’armement (ou matériels classés comme tels aux yeux de la réglementation) n’a cessé de croître depuis 1961 (1 733 millions de francs) jusqu’en 1966 (2 776 M). La tendance des dernières années exprimée en MF est donnée dans le tableau ci-dessous :
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1967 |
1968 |
1969 |
1er sem. 1970 |
Aéronautique civile et militaire (y compris missiles antichars Nord Aviation) |
1 650 (1) |
2 823 (2) |
1 738 (3) |
3 900 |
Armements terrestres (sauf missiles antichars Nord Aviation) |
450 |
615 |
400 |
426,8 |
Armements navals |
190 |
143 |
41 |
3 |
Électronique |
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495 |
141 |
288 |
Total |
2 290 |
4 076 |
2 320 |
4 617,8 |
(1) dont 60 % de Matériels militaires
(2) dont 70 % de Matériels militaires
(3) dont 57 % de Matériels militaires
Ces commandes étrangères représentent une part notable du chiffre d’affaires des industries d’armement que l’on peut évaluer à plus de 20 % en moyenne et même 30 % en ce qui concerne l’industrie aérospatiale. Outre leurs incidences sur la balance du commerce extérieur, les exportations de matériels militaires présentent, pour le pays, un triple avantage :
– elles entretiennent et stimulent les activités de recherche et d’études,
– elles assurent le plan de charge, donc le plein-emploi, de nombreuses entreprises industrielles ;
– elles permettent d’abaisser, au profit du budget de la Défense nationale, le coût unitaire de certains matériels adoptés par nos armées en répartissant les frais généraux d’études et de réalisation sur un plus grand nombre d’exemplaires construits.
Matériels aéronautiques
Les matériels aéronautiques viennent en tête et en premier lieu la famille des Mirage. De nombreux pays ont été intéressés par cet avion. On trouve en effet des Mirage III, des différentes versions B, C, E, R et des Mirage V, soit utilisés soit commandés par l’Australie (110 exemplaires), la Libye (110), la Belgique (106), Israël (77 avant l’embargo), la Suisse (58), le Pakistan (54), l’Afrique du Sud (42), l’Espagne (20), le Brésil et le Pérou (16 chacun), le Liban (14), l’Argentine (12). La Colombie et la Malaisie semblent également s’intéresser à cet appareil dont la version Milan (Mirage V « à moustaches ») pourrait obtenir un certain succès. L’avion-école Fouga Magister est utilisé par Israël, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, tandis que l’avion franco-allemand C-160 Transall a été commandé en 9 exemplaires par l’Afrique du Sud.
L’avion de patrouille maritime Breguet Atlantic, déjà acquis par la République fédérale d’Allemagne (RFA) (20), l’Italie (18) et les Pays-Bas (9) vient d’être présenté en vol au Brésil où des pourparlers sont en cours.
Dans le secteur des hélicoptères, les Alouettes II et III ont obtenu un franc succès puisqu’on en trouve 100 en Afrique du Sud, 60 en Suisse et, en quantité moindre, en Argentine au Pakistan et à Singapour tandis que le Portugal, après hésitations, a préféré commander 6 Puma. Cet hélicoptère franco-britannique SA330 qui a aussi intéressé l’Algérie et le Congo-Kinshasa pourrait bien prendre la relève de l’Alouette sans d’ailleurs la concurrencer.
L’hélicoptère lourd Super-Frelon a été acheté par Israël et l’Afrique du Sud. Dans le domaine de l’aéronautique civile, il n’est guère besoin de rappeler le succès de la Caravelle et, si l’avenir des Concorde, Airbus et Mercure n’est pas encore défini, le Mystère XX a commencé une bonne carrière commerciale et des pourparlers sont en cours avec l’Italie pour la fabrication du Breguet 942, version civile du B941.
Missiles
La vente de missiles constitue un complément non négligeable pour l’industrie aéronautique. Le missile tactique SS-12 est en service aux Pays-Bas et sa version marine équipe des vedettes libyennes. Les autres engins de Nord-Aviation sont achetés par la Grande-Bretagne (AS-11 - AS-30), la RFA (AS-12 - AS-30), les Pays-Bas (AS-11 - AS-12) et l’Afrique du Sud (AS-20 - AS-30). La société Matra a vendu son engin Air-Air 530 pour équiper les Mirage de l’Australie, d’Israël et de l’Afrique du Sud. Ce dernier pays a par ailleurs commandé à la même société l’engin sol-air Crotale qui a retenu l’attention des États-Unis, du Liban, de la Libye et de la Norvège. Parmi les engins antichars, l’Entac a été livré à 12 pays dont les États-Unis et le SS-11 à 18 armées étrangères.
L’Exocet, missile mer-mer MM38, est prévu pour équiper les vedettes commandées par la Grèce et la RFA et fait l’objet de conversations avec la Grande-Bretagne, l’Australie et le Pérou. Enfin ces ventes de missiles pourraient prendre, dans les prochaines années, une certaine extension avec l’apparition sur le marché des engins franco-allemand (Kormoran, Roland, Milan et HOT) et du Martel franco-anglais, tous en cours de mise au point.
Constructions navales
La construction navale, pour sa part, a vu reconnaître la qualité des sous-marins à hautes performances type Daphné qui ont été commandés par le Portugal (4), le Pakistan (4), l’Afrique du Sud (3) et l’Espagne (2 et peut-être 3 autres). Le Portugal a également acquis 4 avisos-escorteurs type Commandant Rivière dont l’artillerie automatique de 100 mm a été par ailleurs achetée par l’Allemagne fédérale pour équiper ses dix escorteurs des types Hamburg et Köln. La RFA utilise également six dragueurs type Mercure, et vient de commander vingt patrouilleurs légers. Ces vedettes rapides sont commandées ou utilisées par différents pays : Grèce (4), Tunisie (2), Madagascar, Sénégal, Côte d’Ivoire, et ont retenu l’attention de la Malaisie. Il semble que la vente de ce type de bâtiment, surtout équipé du missile Exocet, puisse progresser favorablement.
Armements terrestres
Les armements terrestres vendus à l’étranger consistent essentiellement en matériels blindés, encore que les États-Unis nous aient acheté quelques exemplaires du Radar de tir de l’artillerie de campagne (Ratac) en vue de le fabriquer sous licence.
Les chars de la famille AMX-13 sont en service dans les Armées belge et hollandaise. L’Argentine en a également acquis une cinquantaine, en plus de 24 canons automouvants de 155. Le modèle de 30 tonnes (AMX-30) intéresse la Grèce et l’Espagne qui souhaite le fabriquer en commun avec la France. Plus adaptés à des opérations modestes, les blindés légers de la série Panhard AML (Automitrailleuse légère) ont obtenu encore plus de succès puisqu’ils figurent en quantité importante dans les armées de l’Arabie saoudite, de l’Afrique du Sud, de l’Irak, de l’Algérie, du Congo Kinshasa et du Maroc.
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Ainsi l’éventail de nos exportations est-il très largement ouvert puisqu’elles couvrent les cinq continents et englobent des pays soit neutre (Suisse), soit de tendances politiques fort différentes et dont certains possèdent leur propre industrie d’armement. Ceci justifie pleinement l’affirmation de M. Michel Debré (ministre d’État, chargé de la Défense nationale) suivant laquelle : « Si la France est souvent sollicitée, c’est parce qu’elle ne met pas de conditions politiques, comme le font certaines puissances, à la vente de ses armes ».
Les pays étrangers qui passent des commandes à la France ne sont guidés que par des considérations de qualité technique et d’efficacité opérationnelle. Il valait la peine de le souligner car cette constatation est tout à l’honneur de nos chercheurs et de nos ingénieurs, civils et militaires, et prouve également l’aptitude compétitive de nos industries d’armement sur un marché international pourtant encombré.
Mise en place du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM)
Réuni le 3 décembre pour sa première session, le CSFM (voir RDN de mars 1969) vient d’entrer dans les faits. Institué par une loi du 21 novembre 1969 précisée par un décret du 3 juillet 1970, ce Conseil constitue une grande innovation au sein de l’organisation militaire, innovation qui s’inscrit dans le plan des réformes entreprises pour rénover, moderniser, actualiser l’ensemble des structures militaires.
En effet, aux termes de la loi, le Conseil « exprime son avis sur les questions de caractère général relatives à la condition et au statut des personnels militaires », ce qui ouvre un domaine à la fois vaste et varié.
Sous la présidence du ministre d’État chargé de la Défense nationale, le Conseil comprend 40 membres disposant de voix délibératives et cinq membres, au plus, à titre consultatif. Il dispose d’un secrétariat permanent dirigé par le contrôleur des armées Ducos.
Les membres ayant voix consultative sont, de droit, les représentants du ministre de l’Économie et des Finances et du secrétaire d’État à la Fonction publique et, en cas de besoin, toute personne dont le président juge la présence opportune en raison de sa compétence et en fonction de l’ordre du jour. Les membres ayant voix délibérative comprennent cinq militaires en retraite, désignés sur proposition des organisations de retraités militaires les plus représentatives, et trente-cinq militaires d’active désignés par tirage au sort, les intéressés étant libres de refuser ou d’accepter cette désignation. Pour chaque membre titulaire, il est désigné un suppléant.
Le tirage au sort a eu lieu le 20 octobre et les membres ont été nommés, après acceptation, par arrêté du 14 novembre.
Les membres titulaires, qui comportent 17 officiers, 17 sous-officiers ou officiers mariniers et 1 homme du rang représentent : l’Armée de terre (9), la Marine (7), l’Armée de l’air (7) ; la Gendarmerie (4), les ingénieurs de l’armement (2), les Services communs (1 médecin, 2 Service des essences), les Personnels féminins (3).
Dans son discours inaugural, le ministre d’État chargé de la Défense nationale a tout d’abord souligné que la création du conseil marquait l’aboutissement d’un projet très ancien. Il a ensuite rappelé quel était le secteur de compétence du Conseil et le rôle de ses membres : examiner et proposer toutes mesures et conseiller directement le ministre dans les domaines spécifiques du statut et de la condition militaire, à l’exclusion de toutes questions traitant de l’organisation et de l’emploi des forces ou de situations particulières qui restent de la compétence respective du commandement et de l’administration ; et inversement, être informé directement des motivations des hautes autorités sur ces sujets.
Le rôle des membres du Conseil, a poursuivi M. Michel Debré, prend toute son importance en fonction de trois raisons fondamentales : d’abord l’évolution générale des esprits qui a fait admettre la nécessité d’un dialogue : « Ce Conseil eut été impensable il y a seulement 30 ans. » a précisé le ministre ; ensuite le fait que les militaires ne disposent pas de l’arme syndicale qui est incompatible avec l’absence de toute contingence politique et de tout intérêt personnel qu’exige le service de la Défense nationale ; enfin l’adaptation de la condition militaire à la situation du moment qui nécessite de résoudre des problèmes du moment comme la réduction des effectifs, la reconversion vers les carrières civiles, la formation permanente.
Après avoir précisé que les discussions du Conseil devaient être abordées avec un esprit de respect de la discipline, exempt de tout parti pris politique mais au contraire orienté par le sens du bien public, le ministre a insisté sur la liberté absolue d’expression, qui conditionne la valeur des travaux du Conseil, et a conclu en indiquant que tous les assistants devaient être pénétrés du souci fondamental d’œuvrer pour le bien de l’Armée, pour le maintien de la vocation militaire et en définitive pour le soutien de la Défense.
Au cours de deux séances de travail dirigées par M. Fanton, secrétaire d’État, le Conseil a adopté son règlement intérieur et débattu des facilités à accorder aux membres militaires pour assurer leur indépendance et leur liberté d’expression. La prochaine session, qui est prévue aux environs de Pâques 1971, aura pour objet de discuter du projet du nouveau statut de la fonction militaire en cours d’élaboration et de faire le point sur le problème du reclassement des militaires de carrière. ♦