Défense en France - M. Jacques Chaban-Delmas à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) - M. Michel Debré à bord du Concorde et du Redoutable - La réforme de la préparation militaire élémentaire - Expérience de déconcentration administrative dans les armées - Les secours militaires français au Pakistan
M. Jacques Chaban-Delmas à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN)
Le Premier ministre s’est rendu le 7 décembre 1970 à l’IHEDN. Le général Buis, directeur de l’Institut, lui a présenté les auditeurs de la XXIIIe session.
Prononçant une brève allocution, il a tracé les grandes lignes de la politique générale de la France, puis, pendant plus d’une heure, il a répondu aux questions que lui posaient une vingtaine d’auditeurs.
Dans une ambiance empreinte de cordialité et même d’humour, le Premier ministre a expliqué qu’une bonne défense exige d’abord une politique saine. Aujourd’hui, la santé économique et la santé sociale sont nécessaires pour qu’un peuple évolué comme le nôtre ait conscience d’appartenir à une communauté qu’il faut préserver et développer. Il a aussi indiqué les orientations de la politique de la France face à l’évolution de l’Europe et du Tiers-Monde.
M. Michel Debré à bord du Concorde et du Redoutable
En participant, il a quelques semaines, à un vol supersonique du Concorde, puis en effectuant peu après une plongée à bord du Redoutable, M. Michel Debré a tenu à manifester l’importance que le Gouvernement et plus particulièrement le ministre d’État chargé de la Défense nationale, attachent à ces magnifiques réalisations françaises.
Le samedi 12 décembre 1970, à l’issue d’un vol de 2 h 40 sur le prototype 001 de Concorde qui poussa sa vitesse jusqu’à Mach 2, le ministre d’État a exprimé son admiration devant la réussite technique que représente cet avion, fruit d’un effort considérable dans les domaines scientifique et industriel. Les fabrications aéronautiques civiles et militaires étant étroitement liées, le ministère de la Défense nationale est investi de la tutelle de l’industrie aéronautique. Il est donc normal que le ministre ait manifesté publiquement son intérêt pour la réalisation de l’avion supersonique franco-britannique qui représente l’aboutissement d’un programme très important, susceptible d’amener une révolution dans le domaine du transport aérien. Il est non moins normal que le ministre d’État se préoccupe de l’avenir commercial encore incertain de Concorde. En dépit de l’interdiction récente de survol prise à l’égard des avions de ligne supersoniques par les États-Unis, et malgré les discussions qui se développent dans ce pays sur la rentabilité d’un transport supersonique, M. Michel Debré a dit sa confiance dans l’avenir du Concorde.
Le 22 décembre 1970, le ministre d’État effectuait au large de Brest une plongée à immersion périscopique de plus d’une heure avec le Redoutable, premier Sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE), donc premier élément de la troisième génération de nos Forces nucléaires stratégiques (FNS).
Cette plongée officielle marquait en quelque sorte le couronnement des essais très satisfaisants réalisés à ce jour par le sous-marin. Le calendrier ultérieur prévoit des essais balistiques et l’embarquement des missiles au cours du premier semestre 1971, avant le départ pour la première patrouille à la fin de l’année.
Le ministre d’État a particulièrement insisté sur le fait que le Redoutable concrétise l’aboutissement d’un effort exceptionnel pour parvenir à résoudre une multitude de problèmes théoriques et pratiques dans des domaines aussi variés que la science nucléaire, l’hydrologie et l’hydrographie, la technique des engins, la construction navale, l’électronique, l’informatique et même la mécanique. Il s’agit là d’un véritable exploit scientifique, technique et industriel qui a été accompli à peu près dans les délais prévus ; les difficultés initiales étant maintenant surmontées, le calendrier de mise en service des SNLE ultérieurs pourra être tenu. Seront ainsi opérationnels : en 1972 le Terrible, en 1974 le Foudroyant, en 1976 l’Indomptable. Le 5e sous-marin, prévu au 3e plan militaire, complétera notre force de dissuasion vers 1979, date à partir de laquelle il sera possible d’entretenir une patrouille permanente de trois SNLE.
Visiblement impressionné par les aspects humains de la mise en œuvre de ces bâtiments, M. Michel Debré a fait allusion au statut des sous-mariniers, dont l’élaboration a été annoncée par l’amiral Storelli, Chef d’état-major de la Marine, en précisant que ce statut serait basé sur le souci des réalités et tiendrait le plus grand compte des problèmes qui peuvent se poser aux différentes catégories de personnel. En effet, le rythme de vie imposé aux équipages des SNLE comporte une patrouille de près de trois mois, un mois de permission et deux mois d’entraînement avant la patrouille suivante. Il est donc nécessaire d’envisager un statut spécial tenant compte des circonstances particulières dans lesquelles vivent ces hommes appelés à des responsabilités de défense nationale qui sont telles qu’ils sont en liaison directe avec le président de la République, seul habilité à décider, au nom de la Nation, de l’emploi de l’arme nucléaire qu’ils doivent être prêts à tout moment à mettre en œuvre.
La réforme de la préparation militaire élémentaire
La réforme du Service national, définie par la loi du 9 juillet 1970, implique celle de la préparation militaire. En effet, la durée du Service militaire réduite à 12 mois ne permet plus d’assurer de façon raisonnable l’équilibre normal entre le temps de formation des cadres et des spécialistes et leur temps de service dans une unité.
Jusqu’alors organisée par la seule Armée de terre, la nouvelle préparation militaire sera désormais étendue aux trois Armées, la Marine et l’Armée de l’air ayant surtout besoin de former des spécialistes. Dans chaque centre de préparation militaire, soutenu par une unité d’active, en ce qui concerne l’infrastructure, la logistique et l’animation générale, l’instruction sera dispensée par des cadres de réserve, officiers et sous-officiers volontaires dont la candidature sera agréée par l’autorité militaire régionale. L’expérimentation sera entreprise au cours de l’année scolaire 1971-1972 et touchera 3 000 jeunes gens dont 500 pour la Marine et autant pour l’Armée de l’air. Ultérieurement il est prévu d’étendre cette organisation expérimentale.
Cette nouvelle organisation présente des avantages certains et multiples. Les jeunes volontaires trouveront la récompense des efforts qu’ils auront accomplis, au moment de leur incorporation, dans la possibilité de choisir leur Armée, leur arme ou leur spécialité et dans celle d’accéder à des postes de responsabilités et de suivre des pelotons de cadres ou même d’EOR (Élèves officier de réserve). Les Armées trouveront là la possibilité de former des spécialistes rapidement utilisables dans les unités. Enfin, et ce n’est pas là le moindre avantage de la réforme, la participation active des cadres de réserve à la formation des jeunes doit parvenir à établir, en dehors de la sphère de la hiérarchie des Armées, des contacts humains favorables au développement de l’esprit de défense dans la Nation.
Nous reviendrons prochainement sur cette importante question par un article de fond.
Expérience de déconcentration administrative dans les Armées
Depuis le 1er janvier 1971, les unités de la 17e Brigade alpine, la base aéronavale de Saint-Mandrier, la base aérienne de Cazeaux, la circonscription régionale de Gendarmerie de Nantes et la Gendarmerie mobile de la région parisienne expérimentent une méthode de gestion de leurs ressources caractérisée par une déconcentration des pouvoirs administratifs et financiers. Cette expérience n’est qu’une étape dans l’important effort entrepris pour moderniser les méthodes de gestion au sein des Armées. Elle sera ultérieurement étendue à d’autres unités en vue de la mise au point d’une méthode destinée à être généralisée.
La nouveauté fondamentale de l’expérimentation consiste à confier l’exécution d’un « budget de fonctionnement » à l’échelon de commandement responsable de l’efficacité d’une unité, donc de son instruction et de sa logistique.
Dans cette première phase d’expérience, ce budget de fonctionnement, fondé sur le principe de la gestion par objectifs, met à la disposition de l’unité la partie des ressources nécessaires à son fonctionnement sur laquelle le commandant peut souhaiter opérer un choix pour orienter son action en fonction des missions qui lui sont définies. En cas de modification des objectifs, le budget est évidemment révisé en conséquence.
Chaque Armée a été laissée libre de déterminer l’ampleur qu’elle comptait donner à cette expérimentation qui normalement se traduira par une extension et une généralisation du système des masses ou des comptes en valeur. La Gendarmerie, sensibilisée aux problèmes de coûts de fonctionnement par le caractère civil d’une partie de ses missions, a pu, grâce aux études qu’elle mène depuis 18 mois, déléguer aux chefs de corps chargés de l’expérimentation une part très importante des crédits de fonctionnement (85 %). À part quelques variantes mineures, les trois Armées ont individuellement admis de mettre à la disposition des commandants les dépenses relatives :
– à l’entretien du personnel (à l’exception de celles d’alimentation, considérées comme des deniers semi-publics ou semi-privés),
– au fonctionnement général de l’unité,
– à l’entretien locatif de l’infrastructure,
– aux carburants auto,
– aux crédits téléphoniques,
– aux frais de mission ordonnés par l’unité.
En pratique, aux différents échelons le processus est le suivant. Le chef de corps ou commandant, après avoir arrêté le choix des actions à entreprendre en direction des objectifs assignés (1), engage les dépenses au sein du budget global qui lui est alloué, sans souci de crédits spécifiques. Son action comptable se borne à fournir les éléments d’information (factures, pièces justificatives) à son centre de comptabilité automatisé, chargé d’enregistrer les dépenses et de fournir des relevés de la situation budgétaire. Les règles relatives à la spécialité des ressources n’étant pas appliquées à ce niveau, il appartient à l’échelon administratif central de ventiler le flux des crédits entre les différents chapitres pour parvenir, par virement entre masses ou crédits en valeur, à une gestion analogue, à celle d’un budget unique. Les ordonnateurs secondaires actuels, disposant des fonds nécessaires à l’expérimentation en cours, limitent leur action aux questions de mandatement et de contrôle des opérations comptables du fait que le contrôle de l’exécution du budget de fonctionnement s’effectue a posteriori par comparaison des dépenses et des résultats.
En effet, il s’agit là d’un des buts de l’expérience : tenter de saisir les coûts de fonctionnement d’une unité, en même temps qu’on cherche à mesurer les conséquences pratiques de la marge de liberté ainsi accordée aux commandants. Cette marge de liberté est l’un des buts immédiats de la création du budget de fonctionnement, les autres, qui en découlent, étant la prise de conscience par le chef de corps de l’incidence financière de ses choix, lui enseignant par là même l’habitude et le goût d’une gestion responsable.
Ultérieurement, lorsque l’expérimentation aura permis d’établir des bases chiffrées, les commandants seraient associés à l’élaboration de leur budget de fonctionnement, voire chargés de l’établir, et les éléments seraient réunis pour la mise en place de procédures administratives simplifiées.
Car l’objectif à long terme est double : modification des procédures de gestion budgétaire dans le sens de la simplification, mais surtout recherche du meilleur emploi possible des ressources financières allouées. Si l’expérimentation en cours permet d’évaluer d’assez près le coût de fonctionnement d’une unité en fonction de son efficacité, on pourra envisager une meilleure adaptation des crédits permettant de renforcer les ressources consacrées à l’instruction et l’entraînement s’il s’avère possible, par une gestion contrôlée, de limiter les dépenses de fonctionnement.
On retrouve là le souci, exprimé dans la 3e loi de programme, de contenir la croissance des dépenses de fonctionnement au bénéfice des possibilités d’équipement. L’expérimentation entreprise permettra le recueil de données chiffrées dont l’étude devrait faciliter les options nécessaires dans le domaine de l’équipement, donc aider à réaliser l’équilibre interne du budget de la Défense nationale.
Ainsi apparaît l’amorce de l’application des méthodes connues sous les noms de « coût/efficacité », « rationalisation des choix budgétaires » (RCB) et « planification, programmation et préparation du Budget » (3PB).
Les secours militaires français au Pakistan
Après le Pérou, la Martinique et la Jordanie, c’est au Pakistan qu’une fois de plus, hélas, les Armées ont dû aller montrer le visage humanitaire de la France. Dès la nouvelle du raz-de-marée du 16 novembre la décision fut prise d’envoyer au Pakistan oriental (NDLR 2021 : futur Bangladesh) un détachement de secours. Le 20 novembre, trois hélicoptères Alouette III du Groupement d’aviation légère divisionnaire de Pau (11e Division) embarquaient dans deux avions de transport C-160 Transall de la 61e Escadre de transport d’Orléans, chargés par ailleurs de vivres et de médicaments.
Le détachement comprenait 10 sous-officiers et 3 officiers dont un médecin, chargé de la protection sanitaire du groupe mais aussi de l’étude des conditions dans lesquelles pourrait se faire l’envoi de secours médicaux. Basés aux environs de Dacca, les hélicoptères ont aussitôt entrepris leur mission dans des conditions très difficiles : climat chaud et sec, manque d’eau potable, désarroi des autorités qui par la suite se montrèrent très prévenantes, navigation rendue délicate par une cartographie périmée et une géographie perturbée par le raz-de-marée. L’ensemble du détachement est rentré à sa base de Pau le 22 décembre après avoir effectué 253 heures de vol et assuré en de multiples rotations, parfois 9 heures de vol par jour, le transport de 100 tonnes de ravitaillement pour les populations sinistrées dans une zone où les secours étaient particulièrement désorganisés.
Sur les 357 missions effectuées, la plus inattendue fut certainement celle qui a consisté à faire survoler les régions dévastées à une mission soviétique d’information. Les autorités pakistanaises avaient en effet hésité à demander ce service aux hélicoptères de l’Armée américaine. ♦
(1) Il est certain que ce choix ne peut s’exercer qu’au travers des normes fixées par l’État-major. Si un chef de corps d’infanterie peut estimer nécessaire de dépenser 50 cartouches supplémentaires pour former un bon tireur, un commandant de base aérienne peut difficilement décider à lui seul que 20 heures de vol suffisent au lieu de 40 pour donner telle qualification à un pilote.