Défense dans le monde - République fédérale d'Allemagne : déclaration gouvernementale sur les problèmes de défense - Suède : le budget de défense pour 1972-1973 - Grèce : importance stratégique du pays ; ses relations avec les États-Unis - CAEM (Conseil d'assistance économique mutuelle ou COMECON) : 26e Session « au sommet »
République fédérale d’Allemagne : déclaration gouvernementale sur les problèmes de défense
Le 23 juin 1972, M. Schmidt, alors qu’il était encore ministre de la Défense, a fait une déclaration gouvernementale devant le Bundestag à l’occasion du débat sur la réduction du service militaire. Il a notamment souligné la fidélité de la RFA à l’Otan, la nécessité de resserrer la cohésion de l’Alliance sur le plan politique, l’opportunité de lier les efforts vers la détente avec ceux de la défense et de maintenir la présence américaine en Europe. Enfin, il a exprimé les vues ouest-allemandes sur une défense européenne intégrée.
Aux yeux du ministre, la cohésion politique de l’Alliance revêt une importance capitale en cette période de transition dans le domaine des relations internationales et à l’heure où l’Ouest tente de négocier ses différends avec l’Est. Les diverses réunions atlantiques qui se sont tenues depuis le début de cette année ont témoigné de la volonté des membres de l’Otan de ne pas se départir d’une attitude commune dans leur recherche de la détente. Il convient de s’en tenir strictement à cette ligne afin que les efforts de chacun restent en concordance avec les objectifs généraux de l’Alliance.
Un autre impératif consiste à reconnaître que la notion de détente et celle de défense sont très étroitement dépendantes. Cette conception s’impose à mesure que les perspectives d’une conférence sur la sécurité et la coopération et de conversations sur une réduction mutuelle et équilibrée des forces en présence en Europe se révèlent plus proches. Le maintien d’un juste équilibre entre les impératifs de la défense et de la détente est précisément l’une des préoccupations du gouvernement actuel.
M. Schmidt a ensuite rappelé que les ministres de la Défense de l’Otan, lors de leur dernière réunion, ont insisté sur le déséquilibre des forces en présence en Europe à l’avantage de celles du Pacte de Varsovie dont le potentiel est en croissance continue. L’augmentation considérable de la puissance militaire de l’URSS notamment est évidente. La poussée de ses forces navales à travers le monde lui offre de nouvelles occasions d’appuyer sa politique et constitue une menace que l’on ne peut ignorer. Sur ce point, les préoccupations du gouvernement fédéral rejoignent celles de l’Alliance. Elles résultent essentiellement de la situation en Méditerranée et sur le flanc nord de l’Otan ainsi que de l’amélioration qualitative constante des forces terrestres et aériennes soviétiques dans le secteur Centre-Europe. D’éventuelles discussions sur la réduction des forces devront tenir compte de cet état de fait. Elles devront viser à stabiliser à un niveau plus bas le volume des forces et les charges financières à l’Est comme à l’Ouest sans désavantage pour l’un ou l’autre côté.
En attendant, des efforts restent plus que jamais nécessaires en faveur de la défense mais ils seront difficiles en raison de l’urgence à satisfaire aussi à d’autres besoins de ce temps dans les domaines de l’action sociale, de l’enseignement, de la santé et des transports. Aussi faut-il s’attendre à une certaine gêne qui risque de s’aggraver en 1973 et dans les années qui suivront en particulier en vue de financer le développement de matériels de la seconde génération. Elle sera rendue supportable grâce à une rationalisation sévère des choix dans le domaine de la défense. À titre d’exemple, la durée du service a été réduite de 18 à 15 mois, mais cette mesure a été compensée par la décision d’augmenter le nombre des appelés et l’effort consenti pour accroître le volume des engagés ainsi que pour améliorer encore le niveau de qualification des personnels de carrière. Cet effort a déjà porté ses fruits puisque les engagements ont marqué une hausse sensible pour le premier trimestre de 1972 (1). Simultanément l’accent sera porté sur le renforcement de la discipline – par l’amendement de la loi sur les pouvoirs disciplinaires – et sur l’amélioration de l’aptitude opérationnelle des unités.
Mais les charges de défense étant tout aussi lourdes pour les autres alliés de l’Otan, il est apparu que la recherche de solutions communes serait susceptible de les alléger. Un partage des efforts a donc été envisagé au sein de l’Eurogroup qui s’attachera en priorité cette année à organiser la coopération en matière d’armement.
Évoquant la présence américaine en Europe, le ministre a souligné que son maintien est une condition impérative de l’équilibre des forces sur ce continent où, selon lui, l’engagement physique des États-Unis est irremplaçable sur les plans politique, militaire et psychologique. Certes, l’Europe est en marche, son unité est en vue et d’abord sur le plan politique. Il est vrai aussi que cette unité resterait imparfaite si elle n’englobait pas finalement le domaine de la défense. Mais cette entreprise souhaitable ne peut intervenir au premier stade de la construction. L’expérience passée, surtout celle de la Communauté européenne de défense (CED), a montré que l’intégration de la défense européenne ne peut être que la conséquence d’une union politique. En attendant, l’Europe reste vulnérable et ne peut se passer de la dissuasion américaine.
M. Schmidt n’a rien apporté de nouveau sur les grandes options ouest-allemandes. Il a pourtant fortement souligné rattachement du gouvernement actuel à l’Otan et son désir de maintenir un effort de défense suffisant en même temps qu’il poursuivra sa recherche de la détente. À propos de la construction européenne qu’il voit favorablement, le ministre a évoqué la possibilité d’une défense intégrée dont il juge pourtant la réalisation encore lointaine. En définitive, il ne fait pas de doute que cette déclaration a visé, en partie, à rassurer une opposition dont les réserves au sujet de l’Ostpolitik sont bien connues.
Suède : le budget de défense pour 1972-1973
Présenté en mars 1972 au Parlement, le budget global de l’État suédois a été voté le 29 mai 1972. Il s’élève à 59 739 millions de couronnes suédoises (2). La part attribuée à la défense est de 7 100 M de couronnes. En augmentation de 555 M de couronnes, soit 7,1 % par rapport à l’année précédente, elle est néanmoins en légère régression par rapport au budget général : 11,82 % contre 12,65 % en 1971-1972. Elle représente 3,70 % du PNB au lieu de 3,60 % dans l’exercice précédent.
Cette année encore, il s’agit d’un budget où les dépenses de fonctionnement l’emportent largement sur les dépenses d’investissement.
La part réservée aux premières dans chacune des trois Armées marque une légère hausse par rapport à l’exercice 1971-1972. Elle passe en effet de 58,3 % à 60 % du budget de défense : mais en fait cette augmentation est absorbée par l’accroissement important des prix et des salaires. La somme totale allouée au fonctionnement, soit 4 271 M de couronnes, se répartit entre d’une part : 2 677 M de couronnes pour la rémunération des personnels, les pensions, la sécurité sociale et l’action sociale des Armées, et d’autre part, 1 544 M de couronnes pour l’entretien des matériels et de l’infrastructure.
La priorité accordée au fonctionnement permettra de maintenir le principe du service militaire obligatoire, mais le chef des Forces armées est autorisé à prévoir la réduction de la durée du service et celle des périodes de réserve. Cette mesure qui entraîne une réduction du temps de service de 2 à 4 semaines pour les hommes du rang et de 3 mois pour les sous-officiers, sera appliquée à titre expérimental dans l’Armée de terre dès juillet 1972.
Les dépenses d’investissement, au contraire, décroissent légèrement d’une année à l’autre. Elles tombent en effet de 41,7 % du budget militaire en 1971-1972 à 40 % en 1972-1973. Leur total de 2 829 M de couronnes est ventilé de la façon suivante : 546 M vont à la recherche et au développement, 1 953 M aux fabrications et à la modernisation des matériels et 330 M à la construction et à l’acquisition de terrains. Leur répartition par armée s’établit comme suit :
• L’armée de terre dispose de 690 M de couronnes qui lui permettront d’acquérir de nouveaux matériels, en particulier des véhicules tout-terrain ainsi que des mines antipersonnel et antichar et également de moderniser les matériels existants : véhicules chenilles BV-202 et engins Hawk.
• La marine se voit allouer 450 M de couronnes. Elle pourra ainsi acheter cinq sous-marins A-14 (3) envisager la mise en chantier d’un bâtiment de surface du type corvette ou vedette de patrouille, lancer des études sur un nouveau submersible du type A-17 et sur un nouveau matériel d’artillerie côtière lourde.
• L’armée de l’air enfin, apparaît la plus favorisée. Elle obtient en effet 1 306 M de couronnes, ce qui rendra possible le développement de la version interception du SAAB Viggen (pour 700 à 800 M de couronnes) ainsi que des versions attaque et reconnaissance de ce même appareil. L’effort en faveur du Viggen risque cependant d’entraîner des compressions sur d’autres chapitres. C’est ainsi qu’elle pourrait obliger à une réduction progressive mais sans doute importante du nombre des unités dans chacune des trois Armées.
Le budget de la Défense de la Suède pour 1972-1973 reste important en valeur absolue et par rapport au budget national ou au produit national brut. Il confirme la détermination du Gouvernement suédois de maintenir la défense à un haut niveau d’efficacité en dépit du projet de réduction de la durée du service. En tout état de cause, celui-ci ne sera appliqué qu’après une étude sérieuse de ses implications. D’autre part, l’achat et le développement de matériels d’origine strictement nationale met en évidence la volonté de Stockholm de sauvegarder à tout prix l’indépendance du pays en matière d’armement.
Grèce : importance stratégique du pays ; ses relations avec les États-Unis
Lors de son récent passage à Athènes, le secrétaire d’État américain, M. William Rogers, a tenu, dès son arrivée, à rappeler l’importance de la Grèce pour la protection du flanc sud de l’Otan, son rôle au sein de l’Alliance et sa coopération avec les États-Unis. De tels propos reviennent actuellement comme un leitmotiv dans les déclarations des dirigeants américains, dont ils reflètent les préoccupations concernant les développements de la situation en Méditerranée et les remèdes à y apporter.
L’importance de la Grèce pour la protection du flanc sud de l’Otan est devenue beaucoup plus évidente depuis la pénétration soviétique en Méditerranée orientale. Le territoire grec constitue en effet une barrière contre une éventuelle poussée aéroterrestre vers les rives méditerranéennes. Par sa situation entre la Turquie et l’Italie, la Grèce assure, d’autre part, la continuité de la frange méridionale du théâtre européen de l’Otan : de même sa position centrale entre les détroits turcs, le canal de Suez, la Sicile et le canal d’Otrante en fait une plateforme stratégique exceptionnelle pour le contrôle aérien et maritime de tout le bassin oriental de la Méditerranée. Elle offre, en particulier, grâce à la Crête et à ses quelque trois mille îles de la mer Égée, la possibilité d’interdire toute sortie de la mer Noire, même si l’adversaire parvient à s’emparer des détroits turcs.
En ce qui concerne le rôle joue par la Grèce au sein de l’Alliance il est d’autant plus notable que ce pays assure pratiquement seul la défense d’une zone dont l’importance stratégique vient d’être évoquée. Aucune force alliée n’étant stationnée sur son territoire, il est réduit à ses seuls moyens pour faire face à la menace qui pèse le long de ses mille kilomètres de frontières avec des pays socialistes. Les forces armées grecques, à qui revient cette mission, sont d’un bon niveau opérationnel et probablement capables de contenir une agression limitée des forces du Pacte de Varsovie. L’effort de défense ainsi consenti mérite d’être souligné, car il représente, en termes de dépenses budgétaires, environ 6 % du PNB (contre 3 %, en moyenne, pour la majorité des autres membres de l’Otan). Certes la Grèce a longtemps bénéficié, surtout de la part des États-Unis, d’une aide militaire substantielle, mais celle-ci s’est progressivement amenuisée au cours des dernières années, plafonnant à environ vingt millions de dollars depuis 1970.
Actuellement, dans leurs relations avec la Grèce, les États-Unis mettent volontiers l’accent sur la coopération entre les deux pays. Effectivement, et malgré les réticences de Washington à l’égard du gouvernement d’Athènes, les relations gréco-américaines tendent à dépasser le cadre de l’Otan et à prendre un caractère spécifique. La raison principale en est que les États-Unis sont pleinement conscients de l’importance stratégique de la Grèce, non seulement dans le cadre de l’Alliance Atlantique, mais aussi dans le cadre de leur politique propre. De son côté, la Grèce voit dans les États-Unis une garantie beaucoup plus sûre que celle offerte par ses alliés européens et c’est probablement dans cette optique qu’elle vient d’accorder à la VIe Flotte américaine un certain nombre de « facilités » sur son territoire, malgré les inconvénients pouvant en résulter dans ses relations avec ses voisins balkaniques.
Il y a vingt-cinq ans, les États-Unis ont puissamment aidé la Grèce à combattre contre les forces communistes. Depuis lors, ils n’ont cessé de s’intéresser à ce pays, dont la volonté et l’effort de défense ne se sont jamais relâchés et en font un de leurs alliés les plus sûrs en Méditerranée. Ces considérations expliquent pourquoi, malgré toutes les réserves de l’Administration américaine à l’encontre de l’actuel régime grec, le maintien d’excellentes relations avec Athènes est pour Washington un impératif de sécurité.
Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM) : 26e session « au sommet »
La 26e session du CAEM, au niveau des chefs de gouvernement, s’est réunie à Moscou du 12 au 15 juillet (elle devait initialement avoir lieu fin juin ; les raisons du report demeurent inconnues). La 24e session s’était tenue à Varsovie du 12 au 14 mai 1970, la 25e à Bucarest du 27 au 30 juillet 1971. Cette session offrait un intérêt particulier puisqu’elle avait adopté un « programme d’action » qui admettait pratiquement qu’un délai de quinze ans était nécessaire pour une véritable intégration économique.
L’ordre du jour de la 26e session prévoyait essentiellement le bilan de la première année « d’un plan quinquennal commun » à l’ensemble des pays du CAEM, alors qu’en fait la mise au point des plans quinquennaux des différents pays membres s’est étalée sur plus d’un an.
Le communiqué final a développé le thème du « bien-fondé de la politique d’approfondissement et de perfectionnement de la coopération et du développement de l’intégration économique socialiste ».
Le revenu global s’est accru en 1971 de 6,3 % et la production industrielle de 7,8 %. Le chiffre d’affaires a atteint, en 1971, 60 milliards de roubles (augmentation de 8,7 %).
Le communiqué insiste certes sur la nécessité pour tous les pays du CAEM de contribuer au développement du commerce mondial mais il n’évoque :
– ni le problème de la monnaie collective et de la convertibilité du rouble,
– ni le principe et les modalités des échanges CAEM-CEE.
Les résultats les plus spectaculaires de la 26e session paraissent être, dans l’immédiat :
– sur le plan des principes, l’importance accordée à la réunion par la Yougoslavie, membre « associé », qui pour la première fois depuis 1964 a placé à la tête de la délégation yougoslave le chef du gouvernement fédéral : les problèmes de l’économie yougoslave et des choix auxquels elle est astreinte ont été très vraisemblablement abordés au cours de la 26e session, malgré sa brièveté.
– sur le plan des réalités, l’entrée de Cuba dans le CAEM. Elle était envisagée depuis longtemps mais elle correspond curieusement à un décalage chronologique entre la visite à Moscou de M. Castro et l’ouverture de la 26e session.
Depuis 1962, l’économie cubaine dépend étroitement du soutien de l’URSS (estimée à 1 milliard de dollars par an) et reste largement débitrice vis-à-vis d’elle. Mais par rapport aux autres pays socialistes elle a en général un solde créditeur.
En fait, Cuba n’a à offrir à l’exportation que du sucre et des alcools et depuis plusieurs années elle n’est pas en mesure de faire face aux accords bilatéraux conclus avec l’URSS. Il est donc permis de penser que l’URSS cherche à répartir entre les divers pays du CAEM, la charge de l’aide à l’économie cubaine dont la salubrité demeure garante de la stabilité politique socialiste du pays. ♦
(1) L’augmentation enregistrée est de 37 % pour les engagements de longue durée (3 ans et plus).
(2) 1 couronne suédoise = 1,05 F.
(3) Ce nouveau sous-marin est dérivé du submersible type Sjoormen mais est légèrement plus petit et ne jauge que 700 tonnes.