Mort de Staline
« Le 5 mars 1953, bien des choses ont changé pour nous tous parce qu’un vieillard était mort dans la banlieue de Moscou. Une semaine après sa mise au tombeau, le monde sentait déjà qu’il n’était plus le même. Qu’il fût ou non le produit de son époque, il était devenu à lui seul une époque. Il y a Staline, et puis l’après-Staline ». Telles sont les premières lignes du livre de Georges Bortoli, qui a voulu retrouver cet homme qui avait fait de sa personne un mythe, de son royaume la caverne de Platon – des ombres sur un mur. Il a voulu décrire ce passage d’un temps à un autre, suivre pas à pas les derniers jours de Staline et les premiers jours de l’ère suivante. Nous voyons ainsi Staline dans sa datcha, dans son bureau, aux eaux du Caucase, au XIXe Congrès, pendant ses entretiens avec de rares privilégiés. Nous sommes replongés dans « l’affaire des blouses blanches » et dans la montée d’une politique anti-juive… Puis voici la mort (naturelle, provoquée par une congestion cérébrale), le drame des funérailles, les premiers reniements des disciples, la fin de Béria… Nous suivons les débuts des héritiers, Khrouchtchev, Malenkov, Molotov, Mikoyan, Kossyguine. Mais Georges Bortoli nous fait aussi rencontrer le kolkhozien dans son champ, les déportés dans leurs forêts, les hommes et les femmes de la rue dans leurs préoccupations quotidiennes…
Il ne s’agit pas d’un simple récit. Georges Bortoli restitue une époque et un système politique. À le lire, on comprend mieux les luttes de personnes et de clans qui suivirent la mort de Staline, cette « guerre de succession » qui explique les contradictions intérieures et extérieures de la politique soviétique pendant plusieurs années. N’avait-on pas oublié que le film des funérailles ne fut jamais projeté, que la Pravda ne resta stalinienne que pendant treize jours, que dès le 7 avril la Constitution cessa d’être la « Constitution stalinienne » pour devenir la « Constitution soviétique » ? « Les larmes n’ont pas encore séché, mais la déstabilisation démarre au pas de charge », cette déstalinisation qui s’ouvrit ainsi dès la mort de Staline, et non avec le fameux rapport de Khrouchtchev au XXe Congrès du PC en 1956. « Il s’agit, pour la vieille garde, de conserver l’actif de la succession mais d’en éliminer les risques. De garder le pouvoir mais de diminuer les tensions. Aux affaires depuis trente-cinq ans, le Parti peut se flatter d’être revêtu, aux yeux des Soviétiques, du sceau mystérieux de la légitimité. Mais l’on va dissocier le Parti et Staline, alors que l’habitude s’était enracinée de les identifier ». Trois forces s’opposèrent : le Parti, la Police, l’Armée. L’élimination de Béria illustra l’alliance entre la première et la troisième. La politique soviétique devait en rester marquée. ♦