Cinéma - Uniformes photogéniques
L’élément militaire se présente de la façon la plus modeste dans la production cinématographique de ces derniers mois. Il n’est pourtant pas absent et se manifeste par petites touches. Aucun film, en effet, n’a été consacré à l’armée, à l’exception de la grosse farce Les Bidasses s’en vont en guerre de Claude Zidi qui se rapproche quelque peu des vaudevilles militaires d’avant-guerre mais dont l’inspiration est nettement inférieure à celle du film précédent, Les Bidasses en folie. En tout état de cause, ce genre de production n’a pas à être pris au sérieux, dans cette revue encore moins qu’ailleurs. Le facteur militaire se retrouve donc d’une manière plutôt épisodique dans plusieurs productions de factures très différentes.
L’aspect le plus positif se fait remarquer dans le film à grand spectacle Airport 1975 (747 en péril) de Jack Smight où l’intervention de l’Armée de l’air revêt un caractère délibérément héroïque et humain. Faisant suite au roman d’Arthur Hailey Airport, le nouveau film imaginé par le scénariste Don Ingalls nous fait assister au drame d’un SuperBoeing de la ligne régulière Washington-Los Angeles entré en collision avec un petit avion de tourisme. Le commandant de bord est grièvement blessé et ses deux coéquipiers tués au cours de l’accident. Malgré une brèche importante dans la cabine de pilotage, une des hôtesses de l’air parvient, grâce à des instructions précises données par radio, à maintenir l’avion géant en équilibre. Pour sauver les quelque cent-vingt passagers, il faut absolument qu’un pilote expérimenté soit parachuté dans la cabine. C’est alors que l’on fait appel à l’armée de l’air. Un as de guerre accepte la périlleuse mission et prend place à bord d’un hélicoptère de grand format. Le pilote militaire est parachuté et s’il échoue dans sa mission et va s’écraser au sol, c’est simplement parce qu’il est nécessaire que la vedette du film (Charlton Heston) réussisse l’extraordinaire exploit… Cet épisode permet néanmoins aux spectateurs de se rendre compte de l’efficacité et du dévouement de l’US Air Force en matière d’aide apportée à l’aviation civile.
C’est avec une neutralité que l’on peut qualifier de bienveillante que Robert Enrico a présenté l’Armée dans un des épisodes les plus impressionnants de son film Le Secret. Traqué par des ennemis invisibles, un homme soupçonné d’espionnage trouve refuge en pleine montagne chez un couple effacé et quelque peu sauvage. Brusquement, une pétarade éclate et la maison est cernée de toutes parts par des commandos militaires. On croit qu’il s’agit d’une opération montée dans le but d’arrêter le suspect, mais il n’en est rien. Ce sont simplement des manœuvres. Le déploiement des forces est assez saisissant et leur présentation spectaculaire nous rappelle que Robert Enrico a été un des réalisateurs les plus talentueux du Service cinématographique des Armées. Dans cette histoire somme toute intimiste du Secret, la séquence militaire fait une heureuse diversion en raison de son caractère dramatique et imprévu. Armée de l’air dans 747 en péril, Armée de terre dans Le Secret, c’est un artificier émérite qui a les honneurs de Terreur sur le Britannic, film anglais de Richard Lester, dans lequel il s’agit de sauver de la destruction un navire de luxe saboté par un maître chanteur criminel. Une grande partie de l’action illustre la lutte que mène l’officier (Richard Harris) contre le mécanisme infernal. De sa victoire dépend la vie de centaines de passagers et des membres de l’équipage. C’est donc toute sa science militaire que l’artificier doit déployer pour éviter la catastrophe. Il y arrive, bien entendu.
L’héroïsme conscient ou inconscient se manifestant d’une manière individuelle a servi de point de départ au film américain Pigeon d’argile dont l’action se situe dans des milieux qui n’ont plus rien à faire avec l’armée. Le personnage principal est un héros de la dernière guerre embauché par la police pour dépister une bande de trafiquants de drogue. Or, si l’attention a été attirée sur lui, c’est parce qu’il s’est rendu célèbre, sur le front, en se jetant littéralement sur une mine qui risquait d’exploser et de tuer de nombreux soldats. En couvrant de son corps l’engin non désamorcé, l’homme prenait un risque énorme et sauvait la vie de ses camarades. La suite des événements se situe dans une perspective bien connue du cinéma américain : les héros sont non seulement fatigués mais ont bien du mal à se réadapter à la vie normale. Ceci est une autre histoire.
Doit-on rattacher à la mode dite « rétro » le film de Michel Mitrani Les Guichets du Louvre, reconstituant avec beaucoup de sobriété sinon avec émotion la fameuse « rafle » des Juifs parisiens en 1943, opération gigantesque décidée par les Allemands et à laquelle participèrent les forces françaises de police et de gendarmerie ? Le départ des cars de gardes mobiles au petit matin est présenté d’une façon hallucinante. Mais comment réagissent les hommes ? Michel Mitrani s’est attaché, semble-t-il, à la vérité, à cette vérité qui est multiple. Combien parmi ces gendarmes ou gardes mobiles étaient conscients de ce qu’on leur faisait faire ? Une infime minorité, d’après le film, avait l’impression d’agir selon leur conscience, alors que la grande majorité se révoltait intérieurement mais était contrainte d’obéir aux ordres. On sait gré au réalisateur de n’avoir pas forcé la note et de s’être cantonné dans une objectivité digne d’éloges. Sans doute verrons-nous bientôt d’autres films retraçant tel ou tel épisode de la guerre et de l’Occupation, ne fût-ce que Section spéciale de Costa-Gavras, mais n’est-il pas un peu dérisoire de parler de mode « rétro » ? On ne peut s’empêcher de penser qu’entre 1919 et 1939 on a réalisé dans le monde plusieurs centaines de films se rapportant aux divers aspects de la Première Guerre mondiale, sans que personne ait eu l’idée de jamais parler de mode « rétro » ! ♦