Face au néant
L’ouvrage rassemble sous ce titre des conférences, des articles et des notes de voyages. L’éventail des sujets traités par l’auteur est assez large puisqu’il s’étend de sa captivité en Espagne en 1937 à la question de savoir si l’art peut ou non progresser à travers l’histoire, et de la tendance constante de l’humanité à s’autodétruire, aux étranges manies du Mahatma Gandhi en passant par les émerveillements de Marrakech et l’ennui de la société australienne.
Ces articles cependant – si variés soient-ils – tournent tous autour des problèmes qui depuis trente ans n’ont cessé de retenir l’attention d’Arthur Koestler, à savoir les relations entre la politique, la psychologie et la sociologie, et les conflits qui se situent au confluent de ces disciplines. À travers tout ce volume on retrouve l’aisance, l’intelligence et la curiosité d’esprit de l’auteur du roman Le Yogui et le Commissaire (1946). De telles qualités sont comme la transposition dans le monde moderne de celles de « l’honnête homme » du classicisme français et, à ce titre, le lecteur se trouve en bonne compagnie. Le style ne souffre pratiquement pas de la traduction (l’ouvrage a été écrit en anglais), grâce sans doute à l’habileté du traducteur qui ne mérite que des éloges. Aussi la lecture de ce volume est-elle agréable et permet-elle de réfléchir utilement aux divers problèmes abordés.
Mais on ne peut se défendre par moments d’un vague malaise dû, semble-t-il, à un certain manque de relief, à une sorte d’indifférence de la part de l’auteur. Il ne s’agit pas à proprement parler d’understatement, lequel aurait au contraire pour effet indirect de faire mieux ressortir certaines arêtes de la pensée. Ce serait plutôt les idées mêmes de l’auteur qui seraient en question. Arthur Koestler ne s’anime vraiment que lorsqu’il reprend les affirmations d’Arthur Morse (Pendant que six millions de Juifs mouraient), selon lesquelles les Alliés, avant et pendant la guerre auraient omis délibérément à plusieurs reprises de sauver au moins une partie des Juifs persécutés par Hitler. Dans la plupart des autres articles, si brillants soient-ils, il n’y a guère d’idées positives qui retiennent l’attention, malgré le souci philosophique qui semble animer l’auteur. Toute la pensée de celui-ci semble converger vers une sorte d’humanitarisme de bon ton, en un respect, au sens négatif du mot, des valeurs établies du libéralisme. C’est qu’apparemment Arthur Koestler ne retient aucune « vérité » positive comme réellement digne d’intérêt. D’où, sans doute, le titre désabusé qu’il a donné à son ouvrage : « Face au néant » et qui correspond assez bien à l’impression qu’en retire le lecteur. ♦