La révolution suédoise
En décrivant le modèle de développement économique et social de la Suède tel qu’il a été conçu par les sociaux-démocrates, Gabriel Ardant semble d’abord faire le tableau d’un véritable Éden.
Il présente les étapes de cette « longue marche » vers le socialisme. Plein emploi, progrès social, régime des retraites, stabilité des prix, aide aux personnes âgées, égalité des sexes, humanisation des conditions du travail industriel et réforme de la politique économique sont les grands objectifs du Parti social-démocrate (SAP) fondé en 1889, au pouvoir depuis 1932, mais majoritaire aux seules élections de 1940 et 1968. Unis par le souci d’une société plus humaine, les socialistes suédois ont pu venir à bout d’une série d’« aliénations » et créer un monde du travail plus juste.
La priorité accordée aux problèmes sociaux sur les problèmes économiques apparaît ainsi comme la clef de cette « révolution » sans violence. Mais d’autres facteurs ont également contribué à cette réussite : la politique d’alliance du PSD avec les autres partis, l’esprit de négociation, l’absence de mentalité ouvriériste, la reconnaissance de l’importance des mécanismes libéraux, des règles du marché et de l’action des consommateurs.
De ce tableau à première vue idyllique, l’auteur ne cache pas cependant les faiblesses : le système suédois connaît lui aussi l’inflation, le chômage et la misère des marginaux. L’équilibre entre le plein-emploi et la stabilité des prix n’est pas moins malaisé en Suède qu’ailleurs, de même que la conciliation entre le profit individuel et l’intérêt général. On conçoit dès lors que la majorité de l’opinion soit souvent réticente à l’égard de la politique d’égalitarisme des sociaux-démocrates et que les cadres, ingénieurs et chercheurs préfèrent souvent l’émigration à l’acquittement d’impôts élevés. Par ailleurs, les syndicats, indisciplinés et souvent dépassés par des grèves sauvages comme celles de 1969-1970, ne sont pas tous non plus favorables au socialisme du PSD. Enfin, le centralisme bureaucratique règne aussi en Suède et de profondes différences sociales semblent porter la contradiction au socialisme.
L’ouvrage qui s’achève sur les possibilités d’aide de la Suède au progrès du reste du monde exprime les espoirs que l’auteur nourrit quant à la capacité réelle de la Suède d’abolir les privilèges, les classes et la société de consommation, alors qu’en fait, en dépit de certains aspects positifs, la réalité concrète et l’expérience historique paraissent démentir l’existence d’un « socialisme suédois » qui réponde à ces idéaux.
La révolution suédoise réussira-t-elle ? Faut-il imiter la Suède ? L’auteur qui pose ces questions n’y apporte en fait pas de réponse. S’il montre par quels aspects on peut s’inspirer de la Suède, il reconnaît en même temps combien le socialisme – et a fortiori la révolution –s’accommodent difficilement de la démocratie, c’est-à-dire du respect des droits de l’individu. ♦