Après la conférence qui vient d'avoir lieu sans succès sur l'avenir de l'Irlande du Nord et avant les consultations (élections locales et référendum) qui doivent se tenir prochainement, nous avons jugé utile de dresser un bilan de l'action qui a été entreprise par le gouvernement britannique et son super-ministre à Belfast, M. Whitelaw. Jacques Leruez (spécialiste des problèmes anglo-saxons au Centre d'études des relations Internationales) s'efforce de montrer ce qui est spécifique dans le conflit nord-irlandais actuel et se garde de généralisations faciles sinon abusives.
Y a-t-il une issue en Irlande du Nord ?
Lorsque les troupes britanniques interviennent en Irlande du Nord au mois d’août 1969, à la suite de manifestations et d’émeutes qui ont vu l’affrontement d’une part importante de la communauté catholique avec la police locale peu encline à l’impartialité du fait de son recrutement en grande partie protestant, elles sont accueillies — au dire de Bernadette Devlin elle-même — sinon avec enthousiasme, du moins avec satisfaction par les populations des quartiers catholiques qui se croient menacées, et avec soulagement par les modérés des deux camps. En 1969 donc, les troupes britanniques se voient confier un rôle comparable à celui des Casques bleus de l’O.N.U. lors de certains conflits internationaux, c’est-à-dire qu’elles sont chargées de s’interposer entre deux adversaires pour faire respecter une trêve fragile. C’est si vrai que M. Lynch, Premier ministre de la République d’Irlande, qui a réclamé le 13 août l’intervention de l’O.N.U., se déclare satisfait de l’action de Londres dans son discours de Tralee du 20 septembre. Toute la stratégie de l’I.R.A. (l’Armée républicaine irlandaise) va consister, à partir du moment où elle sort de sa passivité à la fin de l’année 1970, à faire en sorte que la présence des troupes apparaisse aux yeux de l’opinion intérieure et mondiale, non plus comme une sauvegarde, mais comme une tentative pour perpétuer le statu quo et protéger la majorité protestante et son gouvernement contre « une guerre de libération irrésistible ».
Car il faut souligner que les événements du mois d’août 1969, tout en s’inscrivant dans la longue suite des démonstrations d’insatisfaction des catholiques nord-irlandais depuis la partition de 1920, n’étaient pas le fait de l’I.R.A. mais l’aboutissement d’une campagne politique d’envergure menée par l’Association des droits civiques et destinée à obtenir, non la fin de la partition, objectif primordial sinon unique de l’I.R.A., du parti nationaliste et des clubs républicains, cadres traditionnels de la communauté catholique, mais l’obtention de droits et de libertés comparables à ceux dont jouissent tous les citoyens britanniques. Il y avait donc quelque chose de changé à la fois dans le comportement et dans les revendications de la communauté catholique ; d’une part, elle soutenait largement un mouvement de masse dont le recrutement débordait chez les protestants libéraux ; d’autre part et surtout, elle ne considérait plus la réunification comme le remède souverain à ses maux, elle se méfiait d’ailleurs presqu’autant du gouvernement de Dublin que des autorités de Belfast.
En juin 1970, lorsque le gouvernement de M. Heath arrive au pouvoir à Londres, la situation en Ulster s’est améliorée, mais cette amélioration est fragile et le climat se détériore à nouveau au cours de l’été — l’été est toujours difficile en Irlande du Nord en raison des nombreux défilés commémoratifs des uns et des autres qui ont lieu en juillet et en août et qui font monter la fièvre — d’une part parce que le changement de gouvernement retarde les décisions, d’autre part parce que la communauté catholique se méfie davantage d’un gouvernement conservateur, proche des unionistes. Pourtant le nouveau ministre de l’Intérieur de Londres, M. Reginald Maudling, d’esprit libéral, désire suivre la voie tracée par la déclaration Wilson — Chichester Clark d’août 1969 (1), déclaration où le Premier ministre de Belfast acceptait la nécessité de réformes politiques et sociales visant l’égalité effective des droits. De fait, des mesures ont été décidées par le Stormont (parlement de Belfast) mais elles sont trop partielles et trop échelonnées pour frapper les esprits. Aussi, dès la fin de 1970, les actes terroristes de l’I.R.A. se multiplient et l’on sent baisser l’influence des groupes proprement politiques. En juillet 1971, les représentants catholiques quittent le Stormont. En outre, le 9 août, M. Faulkner (Premier ministre à Belfast depuis mars) obtient du gouvernement de Londres l’autorisation de procéder à l’internement des suspects. Cette décision, que le gouvernement conservateur va regretter rapidement, provoque une cassure profonde entre les deux communautés. Pendant l’été, l’automne et l’hiver, le terrorisme redouble, et la situation va rester bloquée jusqu’au moment où le gouvernement britannique se décide le 25 mars 1972 à suspendre l’autonomie de l’Irlande du Nord pendant un an, à procéder directement à l’administration de la province et à déléguer sur place un état-major politique pris en son sein, à la tête duquel il nomme M. William Whitelaw.
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