World Armaments and disarmament
L’Institut international de recherche pour la paix (SIPRI), à Stockholm, créé le 1er juillet 1966 par le parlement suédois et soutenu par les crédits votés chaque année par cette assemblée, a consacré depuis sa fondation de nombreuses publications aux problèmes de désarmement et de réglementation des armements. Chaque année en particulier le SIPRI édite un annuaire qui se propose de donner une vue synoptique des armements et des dépenses militaires dans les différentes régions du monde ; il retrace les principaux événements de l’année écoulée ainsi que les efforts accomplis et les progrès éventuellement enregistrés en vue de la réduction des armements et des risques de guerre. L’annuaire de 1977, le huitième de la série, reste fidèle à cette intention.
La conclusion qui se dégage du SIPRI Yearbook 1977 — dont on regrettera une fois de plus qu’il n’existe pas une édition française — est des plus pessimistes : la probabilité d’une guerre nucléaire mondiale ne cesse de croître. Les raisons justifiant cette conclusion alarmante sont les suivantes : la course aux armements nucléaires engagée entre les États-Unis et l’Union soviétique conduit chacune des deux puissances à rechercher la capacité d’anéantir par une première frappe la force de riposte de l’autre ; dans le même temps, la « dissémination » de la technologie nucléaire pacifique répand dans le monde la possibilité pour des pays de plus en plus nombreux de fabriquer des armes nucléaires. Par ailleurs, le commerce international des armements entraîne une militarisation accélérée du monde entier, et plus particulièrement de certaines régions instables comme le Moyen-Orient. Ces deux évolutions se conjuguent et créent un risque de plus en plus grand de voir un conflit commencé par des armes conventionnelles se développer en conflit nucléaire d’abord local puis mondial.
Il n’est aucune de ces affirmations qui ne soit appuyée de chiffres puisés à des sources d’information ouvertes et faisant autorité, et celles-ci sont scrupuleusement citées. Citons quelques-uns de ces chiffres les plus caractéristiques.
En 1976, les dépenses militaires mondiales ont atteint 334 000 millions de dollars. Celles afférentes à l’Otan et au Pacte de Varsovie qui, en 1957, atteignaient 85 % du total n’en représentent plus que 70 % aujourd’hui, tandis que celles du Tiers-Monde (Chine non comprise) qui représentaient 3,2 % en 1955 comptent pour 15 % dans le total de 1976. Parmi les dépenses militaires du Tiers-Monde (Chine non comprise), celles du Moyen-Orient représentent 52 %.
Les chiffres concernant la course aux armements nucléaires ne sont pas moins inquiétants. Les arsenaux nucléaires américains et soviétiques sont tous deux énormes. Les États-Unis ont 2 124 systèmes de lancement stratégiques : 1 054 fusées sol-sol intercontinentales (ICBM), 656 fusées (SLBM) lancées par 41 sous-marins nucléaires stratégiques. 414 bombardiers stratégiques, soit au total une capacité de lancement de 8 500 têtes nucléaires pouvant être dirigées sur des objectifs différents. L’Union soviétique est créditée de 2 404 systèmes de lancement stratégiques : 1452 ICBM, 812 SLBM, 60 sous-marins stratégiques et environ 140 bombardiers stratégiques, dont l’ensemble permet de lancer 4 000 têtes nucléaires à guidage indépendant. Les deux grandes puissances ont en outre quelques dizaines de milliers d’armes nucléaires tactiques dont un bon nombre a une puissance supérieure à la bombe d’Hiroshima. Mais, aux yeux des rédacteurs de l’annuaire, les développements qualitatifs de ces armes stratégiques et tout particulièrement l’amélioration de leur précision sont tout au moins aussi dangereux que leur prolifération. La précision des ICBM américains serait actuellement d’environ 350 mètres à 13 000 kilomètres. Mais on estime probable d’atteindre, vers le milieu des années 80, une précision de 30 mètres. De même en matière de miniaturisation : ainsi les têtes nucléaires des ICBM américains les plus modernes ne pèsent que 100 kg et ont une puissance de 200 kt. On mesure les progrès accomplis si l’on se rappelle que la bombe d’Hiroshima pesait 4 tonnes et ne développait que 1,2 kt de puissance.
Il y a un lien direct, affirment les auteurs de l’annuaire, entre la dissémination de la technologie nucléaire pour des applications pacifiques et la prolifération des armes nucléaires. En 1984, 28 pays actuellement non nucléaires posséderont des réacteurs dont la capacité totale de production de plutonium sera de 30 000 kg par an, ce qui représente une quantité de matériaux fissiles suffisante pour fabriquer 10 bombes atomiques de 20 kt par jour.
On apprend encore en feuilletant le SIPRI Yearbook qu’il y a eu, entre 1945 et 1976, au moins 125 accidents ou incidents mettant en cause soit des vecteurs d’armes nucléaires (fusées, sous-marins ou avions), soit des armes nucléaires. Il est vrai que sur les quelque 100 incidents concernant des armes nucléaires elles-mêmes, aucun n’a provoqué de détonation mais plusieurs ont causé une contamination très importante de l’environnement.
L’annuaire de 1977 fait également le point de la question des satellites militaires dont 1 386 exemplaires avaient été lancés à la fin de 1976. Il en donne les caractéristiques dans des tableaux détaillés et complets. Parmi les sujets importants également traités dans l’ouvrage de cette année, figurent la guerre écologique, la guerre chimique — les ravages qu’elles ont causés au Vietnam sont évoqués ainsi que les perspectives inquiétantes ouvertes par l’accident de Seveso en Italie du Nord où, en quelques heures, une usine fabriquant des herbicides émit sur 130 hectares un nuage de dioxine, connue comme un contaminant de « l’agent orange » employé comme défoliant par les Américains en Indochine où ils en ont répandu au total quelque 110 kg sur 1 million d’hectares en quatre années.
Le SIPRI Yearbook aborde ensuite le problème de la loi de la guerre qui a fait l’objet des quatre sessions (1974, 1975, 1976 et 1977) de la « Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit humanitaire international applicable dans les conflits armés », organisée par le Comité international de la Croix Rouge avec le soutien de l’ONU.
Enfin l’annuaire fait le point des progrès accomplis dans le domaine du contrôle des armements, des conventions SALT, du traité américano-soviétique pour la limitation des essais nucléaires souterrains et de la décevante Conférence de Vienne sur la réduction mutuelle des forces en Europe centrale.
Cet ouvrage ne présente pas l’état des forces de chaque pays comme le fait le Military Balance de l’Institut d’études stratégiques (IISS) de Londres. Son but est tout différent : il donne une vue d’ensemble, à la dimension mondiale, du développement des armements et des menaces qui en résultent pour la paix si ce développement incontrôlé se poursuit.
La somme de travail, d’analyse des sources, de rapprochements pour en faire une présentation cohérente, est considérable, et l’on conçoit que cet ouvrage soit devenu la bible des diplomates et des experts participant aux grandes conférences dans lesquelles l’enjeu n’est rien moins que la paix du monde. ♦