Défense à travers la presse
Ce mois d’octobre 1983 restera dans le souvenir de chacun pour l’ampleur des manifestations pacifistes en Europe, le double attentat de Beyrouth contre des contingents français et américains de la Force multinationale de sécurité à Beyrouth (FMSB), le 23 octobre 1983, l’opération déclenchée par Ronald Reagan contre l’île de la Grenade, le 25 octobre 1983. Chacun de ces événements a eu dans l’opinion une charge émotionnelle intense dont nous respectons les élans tout en sachant bien que le cri n’a de valeur qu’en raison de la cause qui le provoque.C’est pourquoi la douloureuse indignation qu’a suscitée le frénétique attentat de Beyrouth a un caractère d’autant plus pieux qu’elle n’a en rien changé la détermination de la France à assumer ses responsabilités.
Morts pour la France, morts « de la France » a cru pouvoir rectifier un ancien ministre : vaine querelle puisque sans la cendre de ses morts scellée dans ses murailles toute cité se décomposerait. L’éditorialiste du Monde (25 octobre) l’a du reste perçu ainsi puisqu’il titre son commentaire : « créer le chaos », avec cette explication à la clé : « La minutie de l’opération, l’organisation logistique, le choix des cibles, la simultanéité des attentats, supposent des instigateurs mieux outillés (que de simples fanatiques) et donc des États. Au-delà du style de ce massacre, son caractère démentiel et démesuré, c’est bien d’un message d’État à État qu’il s’agit et les destinataires ne s’y trompent pas. Il vise la solution occidentale que les Américains, en partie du fait de leur maladresse et de leur incapacité à convaincre leurs alliés israéliens, n’ont pas pu faire prévaloir dans la région ». Faute de maîtriser la situation au Proche-Orient, Washington aurait-il décidé de donner un coup d’arrêt aux Caraïbes ? C’est ce que Carlos de Sa Rego appelle l’escalade horizontale, dans Libération du 26 octobre 1983. À son avis il est manifeste que pour les États-Unis le conflit libanais se réduit à une confrontation Est-Ouest : « La bombe contre le QG des Marines au Liban devient ainsi un point marqué par le Kremlin. Il faut donc que Washington en marque ailleurs, dans le plus pur style de la théorie du linkage chère à Kissinger… Mais l’intervention américaine à la Grenade tient aussi à l’évolution récente de la doctrine stratégique américaine. En juillet 1982, l’un des pères de cette nouvelle doctrine, Thomas C. Reed, affirmait que le défi soviétique étant global, cela rendait nécessaire une défense globale fondée sur des opérations souples et ponctuelles… Face à cette agression soviétique, la contre-attaque américaine ne doit pas nécessairement s’y opposer de front mais chercher les régions où l’URSS est vulnérable, même si ces dernières sont éloignées du premier théâtre d’opérations ».
Il n’est donc pas question de créer des contre-feux mais de répliquer à une crise difficile à maîtriser par une autre crise mieux contrôlable mais ayant valeur de signal, de message. Cela sans mettre en œuvre les arsenaux nucléaires. Ceux-ci continuent à exercer leur fonction minimale : garantir la sécurité du territoire des puissances qui en sont dotées. Et c’est bien à cette occasion que l’on peut percevoir l’inanité du pacifisme. Il n’empêche nullement les guerres d’avoir lieu en bordure des zones qui demeurent couvertes par l’arme nucléaire, celle-ci étant seule considérée comme facteur d’affrontement. L’effervescence est particulièrement vive en cette fin d’année 1983, à l’approche du déploiement des nouveaux missiles de l’Otan en Europe. La presse n’a pas manqué d’examiner la situation, presque 3 ans après la double décision de l’Otan. Certains journaux se sont contentés d’une approche globale, tel Le Quotidien de Paris qui, sous la plume de Philippe Marcovici, expliquait, le 22 octobre, à ses lecteurs : « À la parité entre les deux blocs, garante de la paix, a succédé la primauté de l’un, celui de l’Est. De cette situation nouvelle naît le risque de guerre parce que peut s’installer la tentation de la victoire. D’où l’impérieuse nécessité pour les démocraties d’assurer le rééquilibrage des forces, si toutefois elles se refusent fermement à périr. Les Soviétiques ne veulent peut-être pas la guerre. Ils le disent mais eux seuls le savent vraiment ».
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