Conscients des charges et des risques impliqués par leur rôle de superpuissance intervenant providentiellement dans tous les problèmes du monde, les États-Unis sont à la recherche d'une nouvelle politique étrangère. Deux modèles peuvent les inspirer : celui défini par Stanley Hoffmann, préconisant une politique relativiste dans ses fins et modérée dans ses moyens, consentant à un partage des responsabilités mondiales, et celui de Robert Tucker que tente un nouvel isolationnisme, inscrit selon lui dans la logique de l'ère nucléaire, répudiant toute alliance et n'intervenant que pour la défense des intérêts vitaux des États-Unis. L'auteur, professeur agrégé de droit, analyse ces deux doctrines et les confronte à la pensée et à l'action diplomatiques américaines.
Doctrines américaines de politique étrangère
Doute sur le rôle des États-Unis dans le monde, foi ébranlée dans les vertus et le destin de la nation américaine… Les années 50 avaient été celles des certitudes et du heurt des convictions enracinées. Les rapports mondiaux simplifiés à l’extrême, le même manichéisme triomphant chez les missionnaires de Dulles et de Staline, les États-Unis pouvaient aisément assumer leur double dessein : l’endiguement de l’U.R.S.S. et la construction d’une communauté politique et économique avec leurs alliés. Vingt ans plus tard, l’érosion de la guerre froide, la montée de nouvelles puissances — Chine et Japon — l’incapacité des Européens à agir — leurs querelles théologiques sur les voies de leur unité donnant, en retour, à l’opinion américaine, le sentiment que le temps des grandes constructions juridico-politiques internationales est dépassé — la désastreuse application de la politique d’endiguement à l’Asie, la résurgence des pressions sociales internes : tout incite à une « révision diplomatique » que réclament les penseurs politiques.
Cynisme et scepticisme ont envahi les mondes communiste et libéral ; la lutte implacable a perdu de sa netteté. La légitimité même de l’endiguement, réussi en Europe, tenté en Asie, depuis 1947, est mise en question par les historiens de la nouvelle extrême-gauche : le communisme était-il aussi monolithique, au lendemain du conflit mondial, que l’affirment les théories officielles de la guerre froide ? Négligeant l’intransigeance de l’idéologie léniniste, les structures de pensée et de comportement engendrées par une société totalitaire, ces auteurs dits « révisionnistes » discernent, aux origines de la guerre froide, non pas la réplique à une agression soviétique virtuelle, mais le déchaînement délibéré de l’agressivité d’une administration américaine, fière de son arsenal nucléaire et soucieuse de rompre avec la politique de coopération esquissée par Franklin Roosevelt. Contempteur des « nouveaux mandarins » de Washington, Noam Chomsky entend remonter aux sources de cette quête pour la domination du monde : il va jusqu’à se demander si les États-Unis n’ont pas, après tout, contraint le Japon à attaquer à Pearl Harbour — un Japon condamné à n’être qu’un « sous-traitant » dans le système mondial édifié, dès l’avant-guerre, par l’impérialisme américain…
La crise de confiance n’a pas épargné la classe politique elle-même. « Les Acheson, les Mc Cloy, les Lovett et même les Rusk ou les Bundy qui firent jouer à l’Amérique le rôle exceptionnel qu’elle assuma naguère, n’ont pas de successeurs », constate Brzezinski. Pressentie par John Kennedy — qui déclarait lucidement, en 1961 : « Nous devons franchement reconnaître que les États-Unis ne sont ni tout puissant ni omniscients… que nous ne pouvons redresser tous les torts ou pallier toutes les adversités, et que, par conséquent, il ne peut exister de solution américaine à chaque problème du monde » — annoncée à son corps défendant par Lyndon Johnson dans son discours autocritique sur le Vietnam du 31 mars 1968, la « nouvelle politique étrangère » frôle l’isolationnisme dans les interprétations qu’en donnent les sénateurs Mansfield et Mc Govern ; pour le candidat démocrate à la Maison-Blanche, qui met l’accent sur le sort futur des hommes, c’est-à-dire sur les problèmes écologiques et de la pauvreté à l’échelle mondiale, le repli décidé de la présence américaine en Europe, qualifié de « redéploiement », n’est pas négociable…
Il reste 90 % de l'article à lire
Plan de l'article