Défense dans le monde - Contraintes budgétaires et évolution de l'armée chinoise
Fin mars 1986, le ministre chinois des finances M. Wang Bingqian a annoncé devant l’Assemblée nationale populaire le montant du budget militaire : il s’élève à 20,02 milliards de yuans (7,08 Mds de dollars) et représente 9,35 % du budget de l’État (1). L’an passé ces crédits atteignaient la somme de 18,67 Mds de yuans (6,6 Mds $) et représentaient près de 12 % du budget général. Compte tenu de la dérive inflationniste – officiellement elle serait de 9 % – il s’agit donc d’un budget en diminution. C’est aussi le plus faible depuis 1978 si l’on prend en compte son pourcentage par rapport au budget de l’État.
Bien que les chiffres n’incluent pas la totalité des dépenses militaires, dont une partie non connue est classée dans d’autres chapitres, ils n’en traduisent pas moins, comparés aux autres secteurs, l’ordre des priorités gouvernementales. Parmi les « quatre modernisations », la défense nationale continue à tenir le dernier rang ; elle restera tributaire, au moins pendant une décennie, du rythme et de l’ampleur du redressement économique général de la Chine. En outre, l’Armée de libération populaire (ALP) est invitée à contribuer à l’effort de développement national, étant entendu qu’elle bénéficiera à terme, directement ou indirectement, des retombées économiques. C’est ainsi qu’elle a dû céder aux autorités civiles des aérodromes militaires (développement du tourisme, donc gain de devises), des terrains, des bâtiments, et que certains de ses avions sont affectés au transport de marchandises ou de voyageurs. C’est pourquoi, aussi, bon nombre des usines de défense nationale ont été reconverties, partiellement ou totalement, à la production de biens de consommation (ventilateurs, bicyclettes, réfrigérateurs, etc.) ou invitées à faire bénéficier l’industrie civile des recherches de leurs laboratoires (télécommunications, électronique, informatique). Par ailleurs, la Chine s’est introduite progressivement sur le marché mondial des armements, sources de devises : Norinco (principale corporation d’import-export) a déjà participé à plusieurs expositions où elle présente des matériels peu sophistiqués, mais résistants et bon marché, adaptés à la clientèle du Tiers-Monde.
L’ALP poursuit cependant, dans la limite de ses moyens, la modernisation de ses forces. Comme l’a montré la parade du 1er octobre 1984, la Chine fabrique quelques matériels nouveaux, ou dérivés d’anciens, ou encore copiés sur des produits importés (missile sol-air genre SA-7, missile antichar ressemblant au Hot, missile mer-mer qui se veut être l’Exocet chinois, char T69/II, etc.). Elle recherche aussi une meilleure exploitation et une valorisation du potentiel existant (rénovation des matériels) ou développe des secteurs inédits comme l’informatique, la simulation, le laser. Enfin, elle procède à l’achat sélectif et limité d’équipements et d’armements de technologie avancée (exemplaires entiers) accompagnés, de préférence, d’un transfert de licence. Limitée dans ses dépenses, l’armée cherche également à acquérir à l’étranger quelques systèmes modernes à des fins d’adaptation sur ses matériels anciens, ce qui ne manque pas de poser des problèmes d’interface (c’est le cas, en particulier, pour les équipements navals et aéronautiques).
La part du budget réservée au secteur nucléaire est sans doute la plus importante, mais elle demeure inconnue et se dilue dans les autres chapitres, notamment dans les fonds alloués à la recherche scientifique, technique ou spatiale. Dans ce domaine la Chine n’a jamais relâché ses efforts, même pendant la révolution culturelle. C’est la composante navale qui reste le point faible de sa panoplie nucléaire : c’est aussi celle qui est la plus déterminante en matière de dissuasion, le SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d’engins) échappant encore actuellement aux moyens de détection les plus modernes. La Chine a procédé pour la première fois, en octobre 1982, au lancement d’un missile balistique à partir d’un sous-marin en immersion. Le tir d’une portée de 1 200 kilomètres fut réussi, mais d’autres échouèrent par la suite. Les derniers essais manques – à partir d’un sous-marin classe Xia – ont eu lieu en septembre 1985 ; pour l’heure, la marine chinoise ne dispose pas de SNLE opérationnel.
Parallèlement au lent développement de ses armements, la Chine a procédé, par trains de réformes, à la « normalisation » de son institution militaire, autre aspect de la modernisation. Les mesures prises ont permis de dépoussiérer le vieil appareil de l’ALP engoncé dans ses traditions de guerre révolutionnaire, et de réaliser des économies substantielles en période de restriction budgétaire. Ces réformes ont porté sur une réduction massive des effectifs (les 4,2 millions d’hommes que comptait l’ALP en 1982 seront progressivement ramenés à 3 M), sur une refonte des structures (avec diminution des états-majors pléthoriques), sur un rajeunissement des cadres par dégagement des vétérans et fixation d’une limite d’âge (55 ans). Par ailleurs, le niveau de compétence des officiers a été rehaussé grâce à une sélection stricte des candidats aux écoles militaires, à une réforme des programmes d’enseignement et à une amélioration de l’entraînement dans les unités (exercices interarmes). Enfin, de nouveaux règlements ont été diffusés, ainsi qu’une loi sur le service militaire qui introduit un système d’engagement volontaire jusqu’à 35 ans. Une autre réforme majeure – génératrice d’économies en même temps que d’avantages stratégiques – concerne la réorganisation territoriale (réduction des 11 régions militaires à 7, d’où diminution des États-majors et gain d’espace de manœuvre) et la restructuration des grandes unités (transformation des armées à 3 divisions de même type en unités plus volumineuses pouvant engerber 4 à 5 divisions de pied différent).
Il est évident qu’une mutation aussi gigantesque – sujette de surcroît à des contraintes budgétaires – ne saurait être que lente et progressive. Elle rencontre aussi des difficultés liées aux mentalités (réticence des vétérans à quitter l’uniforme et à perdre leurs privilèges), au système bureaucratique (pesanteur d’une hiérarchie sclérosée), et à la manière d’appréhender le modernisme après des décennies de retard économique (faiblesse de l’infrastructure technique, humaine et matérielle). L’ALP, qui a perdu son poids politique, accepte globalement la nouvelle orientation qui va dans le sens d’une professionnalisation. Elle réalise qu’elle restera pour quelque temps encore le parent pauvre de la modernisation (2) mais elle sait aussi qu’elle récoltera à terme les fruits de sa contribution actuelle à l’effort de redressement économique.
(1) La Chine ne publie jamais les parts réservées aux trois armées et aux forces stratégiques. Elle ne distingue pas non plus « fonctionnement » et « investissements ».
(2) Au cours du 7e quinquennat (1986-1990), 9,1 % des revenus seront consacrés à la défense contre 13,1 % lors du plan précédent.