Défense dans le monde - Premiers pas vers un avion de chasse asiatique
Actuellement, seuls cinq pays dans le monde ont la capacité et les moyens industriels de produire complètement un avion de combat : les deux Grands, la France, la Grande-Bretagne et la Suède. Tous les autres pays dépendent dans ce domaine de l’un ou de plusieurs d’entre eux.
Cette situation de monopole est évidemment contestée ou refusée par des nations qui, capables de hautes technologies, estiment pouvoir, elles aussi, produire un chasseur moderne et compétitif. Ainsi le Japon avec le projet FSX et Israël avec le Lavi ont-ils cherché à briser le monopole, mais ont dû renoncer tous les deux, pour une question de coûts certes, mais aussi, semble-t-il, en raison de la forte pression exercée par les États-Unis.
République populaire de Chine
En Asie, la logique aurait voulu que le premier pays à construire un chasseur « indigène » soit la République populaire de Chine. Elle dispose, en effet, d’une infrastructure industrielle aéronautique non négligeable et de plus de trente années d’expérience dans la construction d’aéronefs copiés ou dérivés des matériels soviétiques. Mais la Chine est victime de son économie encore vacillante et surtout d’énormes retards technologiques, que masquent mal certains programmes de prestige comme les fusées Longue marche. Elle a donc choisi de continuer à moderniser le Mikoyan-Gourevitch MiG-21, avec l’aide des États-Unis, et le MiG-19, en coopération avec la France ou l’Italie. Il est évident que de tels programmes ne déboucheront pas sur des produits de très haut niveau. Des programmes plus ambitieux sont à l’étude, qui pourraient bénéficier, selon certaines rumeurs, des recherches faites par Israël pour le Lavi, mais ils ne devraient pas voir le jour dans un futur proche.
Taïwan
En fait, le premier chasseur asiatique sera taïwanais. Présenté à la presse en décembre 1988, sous le nom d’IDF (Indigenous Defence Fighter), il sera construit par AIDC (Aeronautic Industry of Defence Center), une filiale du Chung Shan Institute of Science, organisme responsable de la totalité de l’industrie d’armement du pays. Bien sûr, on ne peut pas le qualifier de produit purement national, car sa construction fait largement appel à des transferts de technologies américaines, qui n’avaient pas été explicitement exclus par l’accord de Shanghai en 1982 (1). Parmi les firmes ayant coopéré à la mise au point de cet appareil, on note General Dynamics (cellule), Garrett (réacteurs). General Electrics (radar APG-67 modifié), GEC Avionics (commandes de vol et avionique) et Bendix. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un avion original, même s’il présente des similitudes tant avec le General Dynamics F-16 Fighting Falcon qu’avec le McDonnell Douglas F/A-18 Hornet. Sa réalisation était nécessaire, car la flotte d’avions de combat taïwanaise, composée d’une soixantaine de Lockheed F-104 Starfighteret de plus de 200 Northrop F-5E et F-5F Tiger II (version biplace), commençait à devenir par trop dépassée. De plus, aucun pays occidental ne voulait prendre le risque d’une « affaire » avec le continent en fournissant un matériel plus moderne.
Pour arriver à cette réalisation, le ministère de la Défense taïwanais a bien évidemment bénéficié de l’insolente santé économique du pays (qui détient, avec 70 milliards de dollars, la deuxième réserve de devises du monde derrière le Japon). Mais Taïpei a aussi su mettre en place le tissu industriel et humain nécessaire, s’appuyant sur l’expérience acquise en construisant ses F-5 et ses hélicoptères Bell UH-1 Iroquois sous licence, puis un avion national d’entraînement à réaction, en mettant en place des structures « recherche » et en formant des chercheurs.
Le résultat est présent, sous la forme d’un petit biréacteur de moins de dix tonnes, dont le niveau de performances devrait être proche de celui du F-18. Le premier vol est prévu pour avril 1989, la livraison des appareils de série (250 à 300 prévus) devant commencer en 1993.
L’Inde
L’autre chasseur asiatique sera le LCA (Light Combat Aircraft), fabriqué par l’Inde. Depuis longtemps, ce pays rêve de se doter d’une industrie nationale capable de rivaliser sur tous les plans avec celles des plus grands. Cette ambition est nourrie par le grand nombre de scientifiques et de techniciens de très haut niveau dont dispose ce pays. Malheureusement, en dehors de cette élite, les bases sont très insuffisantes, les ouvriers qualifiés n’existant qu’en petit nombre, et le tissu d’infrastructure industrielle étant actuellement totalement inadapté à la fabrication en série de produits de haute technologie. Quant aux ressources économiques, elles ne sont que celles d’un pays en voie de développement.
Il est à noter toutefois que New Delhi a pu se lancer dans de grands projets, en particulier dans le domaine de la défense et de l’espace. En 1974, l’Inde a fait exploser une bombe atomique expérimentale et, depuis le début des années 1980, elle essaie, sans succès jusqu’à maintenant, de placer sur orbite un satellite national avec un lanceur de conception locale. D’autres tentatives ont donné naissance à des produits insatisfaisants (char Vijayanta, avion de chasse HAL HF-24 Marut), ou à des projets qui ont dû être abandonnés (sous-marin à propulsion nucléaire).
Lorsque l’Inde a voulu se lancer dans la mise au point d’un chasseur national, elle a cherché des partenaires extérieurs capables de lui fournir les technologies nécessaires. L’Union soviétique ayant refusé de participer au projet, New Delhi s’est tourné vers l’Occident pour tenter de mener à bien la réalisation du LCA, dont la maîtrise d’œuvre est confiée à HAL (Hindustan Aeronautics Limited). Ce chasseur, dont le premier vol devrait avoir lieu en 1992, sera un monoréacteur de petite taille. Les technologies auxquelles il est fait appel sont très modernes : on parle, entre autres, de fibres de bore et de carbone, de commandes de vol électriques et de stabilité négative. La propulsion qui sera, sur le prototype, assurée par un moteur General Electric F-404 américain (dont quelques exemplaires ont d’ores et déjà été achetés), devrait, sur l’avion de série, être confiée à un réacteur de conception entièrement indienne, le GTX 35, si celui-ci est prêt à temps et répond aux espoirs. À l’heure actuelle, le projet en est au stade de la définition, et les firmes concernées sont Dassault (cellule), certaines sociétés américaines comme Lear Jet et Moog ainsi que la firme suédoise Ericsson. Le radar sera mis au point par Ericsson, Thomson ou une firme américaine. Le premier prototype (6 sont prévus) devrait voler en 1991 (le centre d’essais en vol de HAL est en cours de modernisation), la mise en service opérationnel étant prévue pour 1995.
On assiste donc à l’arrivée de deux nouveaux membres dans le club très fermé de la construction aéronautique militaire. Et si, dans le contexte politique actuel, les capacités d’exportation de l’IDF (Taïwan) paraissent nulles, celles du LCA (Inde) sont à prendre en considération sur un marché où les prix des dernières réalisations européennes dépassent de très loin les capacités des clients potentiels. ♦
(1) Ce communiqué commun, cosigné par les États-Unis et la République populaire de Chine prévoit que les premiers ne vendront plus à Taïwan que des matériels militaires dont la technologie sera antérieure à 1982, et ce pour une valeur ne dépassant pas celle des livraisons effectuées en 1981.