La France face au Sud
Sur un sujet épineux, l’aide au Tiers-Monde et le jeu de la France dans cette entreprise, se penchent deux chercheurs qui évoluent en pays de connaissance, ainsi qu’en témoigne leur part dans l’abondante bibliographie.
À une phase de gestation consécutive à la décolonisation, a succédé une phase de confrontation, orchestrée par les tenants du Nouvel ordre économique international (NOEI). En cette fin de la décennie 1980, c’est plutôt à un « nouveau désordre économique » qu’on est parvenu. Au Nord « qui se remodèle », la récession, le repli des banques et les manœuvres des multinationales rencontrent une opinion lasse de remplir le tonneau des Danaïdes. Au Sud « qui se décompose », des stratégies divergentes conduisent les uns à édifier des « cathédrales dans le désert » et d’autres à accéder au statut de Nouveaux pays industrialisés (NPI).
Devant « la résignation amère et l’atonie générale », les mesures proposées visent en premier lieu le désendettement : puisque les créances subissent une importante décote, effectuons une opération vérité. Le contribuable moyen, assis sur les fonds russes de grand-père, est rêveur en lisant que « le risque de non-paiement est fortement réduit par la dévalorisation des dettes »… Il faut aussi que les pays développés sachent accueillir « de nouveaux venus sur le marché international, y compris dans les secteurs d’avenir ». Quant à la réforme agraire, peut-être parce que la question est éculée (ou désespérée), elle n’a droit qu’à 12 lignes.
Le cas de la France mérite un examen à part, plus en raison de ses prétentions au « message universel » que de ses conquêtes passées. Notre pays a toutefois conservé des liens de tous ordres avec son ancien empire. Axant ses efforts sur l’Afrique francophone, « intégrée sur les plans linguistique et monétaire », il a « transformé un espace de souveraineté en zone d’influence ». Sous l’étendard du messianisme, il pratique une aide économiquement et culturellement égoïste et une coopération de « substitution » plus que de « formation ».
Or, dans l’« hétérogénéité évidente » du Tiers-Monde d’aujourd’hui, nos partenaires d’élection figurent parmi les plus mal lotis. Ayant trop misé sur eux, la France est de son côté « des grands pays industrialisés, celui qui dispose de la plus faible part de marché des produits de haute technologie ». La question se pose alors de savoir si n’est pas venue l’heure de vérifier la validité de nos choix. Comme dans une œuvre musicale, le thème s’amplifie et finit par s’imposer : « la France n’a plus d’intérêt économique majeur au sud du Sahara ». Il lui faut donc, sans abandonner le continent, « se débarrasser de l’encombrant volet commercial et se recentrer sur les besoins d’assistance technique ».
Cet ouvrage de fond offre au profane de profitables synthèses. Citons par exemple la présentation des caractéristiques de l’aide multilatérale (chapitre I.2) ou encore les différentes « visions » de la place du Sud dans l’économie mondiale (chapitre VI.2). Très documenté, bourré de sigles, il est parfois difficile à suivre dans le temps et dans l’espace, malgré les titres imagés, voire accrocheurs, qui ponctuent la démonstration.
Traité de politique et d’économie, mais aussi, bien qu’évitant les anecdotes scandaleuses qui ne doivent pas manquer au long des rails du petit train de la brousse, livre passionné. L’époque coloniale est exécutée sans tendresse par les auteurs qui reprennent à leur compte, au moins pour la période antérieure au plan Sarraut de 1923, la formule d’une de leurs collègues : « combiné de régime militaire et d’économie de pillage » ; pas une once d’indulgence, ni une pincée de Brazza, ni un zeste de Pavie. On croit discerner plus loin des antipathies par le biais du vocabulaire (les « diatribes de M. Toubon », le rôle de « casseur » de Michel Aurillac), mais peu après, droite et gauche sont renvoyées dos à dos, se partageant équitablement « le verbalisme et le dogmatisme », tandis que la « ferveur » des vainqueurs de 1981 n’a pas empêché le discours « d’aller plus vite que la pensée ». Sous tous les régimes, la France n’a pas eu en la matière « une politique, mais un ensemble de politiques non coordonnées et souvent contradictoires ». À l’occasion, le coup de griffe est lancé : ah ! ces « ONG pratiquant l’aide humanitaire d’urgence, représentées de façon sémillante et jouissant d’une bonne couverture médiatique » ! Seuls trouvent grâce, dans leurs bureaux de la rue Monsieur, « une poignée de fonctionnaires animés d’un vrai désir d’amélioration ».
Il est grave que tant de sévérité, venant d’experts, ait toute chance d’être justifiée. ♦