Présentation
Je vous remercie d’être venus aussi nombreux à ce colloque consacré aux pays de l’Est. Conformément à l’usage, nous l’avons organisé avec l’aide de la Fondation pour les études de défense nationale. Son président, Pierre Dabezies, retenu par une séance exceptionnellement importante du Conseil supérieur de la magistrature, dont il fait partie, ne peut être là : nous avons le plaisir d’avoir, pour le représenter, le général de Llamby, ancien commandant de la 1re armée.
Comme il vous a été indiqué, nous entendrons ce matin l’amiral Merveilleux du Vignaux, M. Beffa, M. Thomas Schreiber et cet après-midi M. Michel Tatu et M. Jean François-Poncet. Appelé à une réunion des directeurs des affaires politiques des pays de l’Alliance atlantique, M. Dufourcq a dû se rendre à San Francisco, et c’est le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, M. François Scheer, qui parlera à sa place ; nous lui sommes reconnaissants d’avoir bien voulu accepter cette tâche, d’autant qu’il occupe les fonctions les plus éminentes dans son département ministériel.
S’il est un sujet qui s’imposait à notre attention, c’est celui dont nous allons parler aujourd’hui. On peut croire qu’en France nous avons eu beaucoup de retard à évaluer les événements survenus à l’Est. En tout cas, en Allemagne, en Angleterre, même aux États-Unis, on y a été plus attentif et plus tôt que nous. Il était très important de prendre la dimension du phénomène qui se déroule sous nos yeux et d’en tirer les conséquences. Je crois que l’avantage qu’il y a à le traiter aujourd’hui est qu’un certain nombre d’hypothèques sont levées, nombre d’interrogations ont reçu leur réponse. Oui, de toute évidence ce qui s’est passé à l’Est a une portée historique.
Le reflux de ce qu’on peut appeler, pour simplifier, le plan communiste, a pris une proportion comparable à ce qu’a été son avancée à une autre période, il y a trois quarts de siècle, pour commencer en Russie puis s’étendant ensuite à la faveur des circonstances que vous connaissez. L’importance de l’événement est maintenant reconnue.
Ce n’est évidemment pas un simple intérêt intellectuel ou historique qui nous porte à avoir choisi ce thème et à en débattre aujourd’hui. Ce qui nous a préoccupés, ce sont les conséquences qui pouvaient en résulter pour le reste du monde et en particulier pour la France. L’axe dans lequel nous travaillons à la Fondation pour les études de défense nationale, au Comité et à la revue, c’est la défense nationale, la préoccupation de défense qui nous inspire. La portée des événements de l’Est sur la situation de l’Europe occidentale, sur celle de la France, sur sa défense, sur le développement de ses intérêts, sur sa réflexion stratégique, voilà qui imposait le sujet, voilà ce qui sera la caractéristique de cette réunion. Naturellement, il ne pouvait être question de se tenir au seul aspect stratégique et militaire que je viens d’évoquer, et nous avons donc fait en sorte que les différents éléments du problème posé par la crise générale à l’est de l’Europe soient également traités. ♦
Paul-Marie de LA GORCE
Je ne reviendrai pas sur ce que vient de dire le directeur de la revue Défense Nationale sur l’importance pour notre défense et notre stratégie des réflexions comme celles d’aujourd’hui. Voici le point sur lequel je voudrais insister : alors que nous avons l’impression d’un changement très rapide — et c’est vrai dans les faits, la décomposition du Pacte de Varsovie nous a tous surpris par sa rapidité —, je voudrais vous alerter sur les délais réels des transformations qui vont avoir lieu sur le plan militaire, sur le passage des esprits à la démocratie et sur la mutation des structures économiques des pays de l’Est.
Délais pour le passage d’un système à d’autres postures militaires. Nous voyons tous que si les conclusions auxquelles s’était arrêtée la conférence de Vienne sont déjà dépassées dans les faits, le retour des unités soviétiques dans leur pays présente d’énormes difficultés. Représentez-vous par exemple les cinquante mille hommes qui sont en Hongrie, ce qui fait cent mille familles ; cela nécessite une réintégration pendant deux ans, pour avoir la possibilité d’évacuer les dépôts, de réinstaller les familles, sans compter tout ce que cela suppose au point de vue réorganisation militaire au sein de l’URSS. Ne parlons pas de l’Allemagne de l’Est avec les dépôts nucléaires qui commencent à être évacués. Donc, délais pour changer de posture, quelles que soient les négociations en cours.
Délais également pour la transformation des mentalités, pour parvenir à des attitudes démocratiques. La dernière réunion à Moscou du Soviet suprême nous a montré que les habitudes démocratiques n’étaient pas encore passées dans les mœurs ; même si c’est plus rapide en Tchécoslovaquie, il n’en va pas de même en Pologne et en Roumanie.
Enfin, et il s’agit sans doute du délai le plus long, la transformation des économies. Il va être fort difficile de passer d’une structure très planifiée et centralisée à de nouveaux circuits de production, de distribution et à la convertibilité des monnaies. Les courants d’échanges qui s’étaient instaurés au sein du Comecon entre l’URSS et les pays satellites vont être modifiés et déjà quelques changements sont en train de se faire.
Alors que paradoxalement nous voyons énormément de mutations, les véritables transformations seront lentes et exigeront des délais. Et c’est là, peut-être, où notre réflexion pourrait déboucher sur des propositions, des suggestions, afin d’essayer de peser un peu sur l’évolution en cours. ♦
Général d’armée (CR) Charles de LLAMBY