La planète balkanisée
Beaucoup plus que l’observation fine et percutante d’un haut fonctionnaire international sur les derniers événements politiques et économiques, c’est une réflexion très profonde sur l’évolution géopolitique de la planète que nous propose M. Yves-Marie Laulan.
Économiste de formation et d’exercice, mais politique et administrateur par métier aussi bien au plan national qu’international, il veut tirer des enseignements sinon des conclusions des merveilleux postes d’observation que sont les cabinets ministériels, les institutions internationales mais également les grandes banques. Esprit pénétrant et non conformiste, il refuse les idées reçues, réfute les opinions admises et demeure sans illusions sur les perspectives proclamées. À partir d’événements majeurs mais inégaux, comme l’effondrement de l’URSS, la guerre du Golfe ou la réunification allemande, il nous propose une explication planétaire.
Avec cet effritement soudain, rapide et parfois obscur de l’URSS, c’est d’abord la disparition de l’un des gendarmes chargés de la « pax américano-soviétique », mais c’est aussi l’échec patent du système économique socialiste dont le Tiers-Monde faisait un tel cas.
Ensuite, la crise du Golfe n’est pas tant le signal d’un « nouvel ordre mondial » évoqué par les États-Unis que plutôt un exemple de dissuasion du faible au fort et le signe d’une dissémination des armes de destruction massive. La sécurité mondiale en devient de plus en plus incertaine.
Enfin, la réunification allemande n’est-elle pas aussi le signal d’une nouvelle répartition des atouts dans le jeu géopolitique, notamment pour la partie européenne ? De fait, les Allemands ont récupéré toutes les cartes pour dominer l’Europe : productifs, actifs, bons contribuables et bons soldats, ils restent sensibles aux démons du pangermanisme. Préféreront-ils à un délicat tête à tête avec la France l’aventure de la reconstruction de l’Europe de l’Est ? En effet, la tâche est immense à l’Est, après l’ère de « glaciation stalinienne ». En raison du retard économique accumulé joint à un retard culturel et mental indéniable, l’aide de l’Occident peut paraître dérisoire face aux besoins. Pourtant, contrairement à l’Afrique, un espoir réside dans la valorisation des ressources humaines, malgré les soubresauts imprévisibles de l’« empire rouge agonisant » et du monde slave en général.
L’autre gendarme de la pax américano-soviétique en est-il plus fort que jamais ? M. Laulan décèle quelques faiblesses dans la « république impériale » américaine. Sa domination politique, militaire, culturelle, idéologique, monétaire et économique ne peut cacher l’aggravation des problèmes, qu’ils soient d’ordre racial et social : blancs minoritaires, illettrés en augmentation, sécurité en diminution, ou qu’ils soient d’ordre économique tels que l’accroissement de l’endettement parallèle à une baisse de la production. L’auteur craint surtout pour les États-Unis la tentation du repli, que semble plutôt infirmer la politique menée actuellement tous azimuts : Europe, URSS, Proche-Orient, mais aussi Japon.
Ce Japon, « géant mal-aimé » fort de sa tradition, de son activité et de sa réussite, craint et jalousé pour son dynamisme et son efficacité, ne peut-il éviter un retour inéluctable à la puissance militaire ?
Cependant, fort de son expérience au Fonds monétaire international (FMI), à la Banque mondiale, l’auteur tient à souligner la fin d’un mythe, celui du Tiers-Monde. Refusant la fausse culpabilité de l’Occident, dénonçant l’échec des utopies de « l’ordre économique mondial » de M. Valéry Giscard d’Estaing ou du « défi mondial » de M. Jean-Jacques Servan-Schreiber, il affirme haut et fort que le développement est à la portée de tous, Singapour en est témoin. Pour lui, ceux qui s’y opposent le doivent soit à leur fanatisme aveugle comme l’intégrisme musulman qui, par sa force de refus, ne sait que sublimer un échec économique et social, soit à leur incapacité fondamentale comme le continent africain dont certains défauts majeurs le condamnent à l’effondrement.
Face au paradoxe d’une économie naturellement de plus en plus mondialiste opposée à une balkanisation croissante des décisions politiques du fait du réveil indiscutable des nationalismes, face aux poussées démographiques anarchiques engendrant de gravissimes migrations, M. Laulan a toutes les raisons d’être inquiet à l’issue de ce tour d’horizon planétaire passionnant mais impitoyable, qui lui laisse pressentir la fin de la civilisation occidentale.
Pour notre part, nous avons toutes les raisons d’être rassurés par la clairvoyance et la lucidité de l’auteur, en souhaitant seulement qu’il soit entendu pour le salut de l’Amérique et de l’Europe. ♦