L'importance des événements mondiaux survenus depuis quelque temps a nécessité la remise en cause de la pensée stratégique : il s'agit d'un nouveau débat où les économistes ont largement leur place. L'auteur, fidèle de notre revue et dont la compétence dans toutes les questions d'économie de la défense est universellement reconnue, nous fait profiter de ses réflexions sur cet « avenir stratégique ». Cet article a été rédigé avant la publication du Livre blanc sur la Défense.
L'analyse économique dans le débat stratégique
Au moment où l’on célèbre le cinquantième anniversaire de la publication de Game theory and economic behavior (1) qui constitue l’acte de naissance de la théorie des jeux aux multiples applications stratégiques et économiques, il n’est pas inutile de rappeler la contribution des économistes dans la construction de la doctrine de dissuasion nucléaire américaine. Le concept élaboré autour de Mac Namara avec la participation active d’économistes comme Enthoven, Hitch et naturellement Schelling, allait devenir, après plusieurs modifications successives (Schlessinger, Brown, etc.), la célèbre doctrine de la riposte graduée, pièce maîtresse du système de défense de l’Occident. Or, l’ampleur des événements mondiaux intervenus au cours de ces dernières années a rouvert un vaste chantier de réflexion stratégique qui n’est pas sans évoquer celui de la fin des années 50. Il serait pour le moins surprenant que les économistes n’y aient pas leur place.
Comme toujours après des transformations majeures, c’est par défaut qu’il faut d’abord appréhender le nouvel environnement stratégique international. Trois constats négatifs s’imposent : l’effondrement brutal de l’Union Soviétique qui, non seulement constituait le dernier empire, mais offrait le support privilégié d’une utopie différente (économies sans marchés, démocratie sans représentation) ; l’érosion progressive de la notion d’État nation comme unité exclusive du système international ; ce phénomène s’est amorcé immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, puisque G. Bouthoul et son équipe de l’Institut français de polémologie avaient observé que parmi les conflits intervenus entre 1945 et 1975, plus des trois quarts avaient une dimension intra-étatique ; la remise en question des missions assignées aux alliances militaires et les interrogations soulevées par leur mode de fonctionnement. Les problèmes se posent principalement pour les alliances institutionnalisées (Alliance atlantique, UEO), mais ils n’en épargnent pas d’autres moins formelles (Ligue arabe).
Quelques éléments d’interprétation de la situation
Face à ces constats, une première contribution que l’on qualifiera de « classique » consiste à les intégrer dans l’évolution économique mondiale. Ces transformations stratégiques ont coïncidé avec plusieurs changements majeurs intervenus dans la dynamique des économies nationales. Depuis le début des années 70, après les deux chocs pétroliers successifs, les économies industrielles ont connu une nette décélération de leur rythme moyen de croissance (moins de 2 % par an entre 1973 et 1993) qui contraste avec les Trente Glorieuses de la période précédente. Cette tendance s’est accompagnée de fluctuations d’amplitudes beaucoup plus fortes et de la réapparition de récessions qui ont ramené le problème des variations cycliques des économies au centre des débats théoriques en macro-économie. Elle a enfin été ponctuée par des krachs financiers spectaculaires (New York, octobre 1987) qui ont mis en évidence des phénomènes de « bulles » spéculatives, révélant une déconnexion profonde entre le monde financier et le secteur industriel réel.
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