Afrique - L'aide aux pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP)
Assurant la présidence de l’Union européenne (UE) depuis le 1er janvier 1995 pour une période de 6 mois, la France s’est retrouvée chargée d’un dossier difficile, mais d’une importance capitale pour l’Afrique, celui de l’aide communautaire des Quinze aux 70 pays dits ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) signataires des Accords de Lomé. La négociation a porté sur le renouvellement de la dotation du Fonds européen de développement (FED) pour la période 1995-2000. Le septième FED, qui couvrait la période 1990-1995, s’était élevé à 10,9 milliards d’écus (l écu = environ 6,5 francs français). Pour les prochaines années, les pays concernés, dont la situation économique est loin de s’être améliorée, comptent particulièrement sur leur partenaire privilégié qu’est devenue l’Union européenne.
Compte tenu de l’inflation et de l’élargissement récent de l’UE à 3 nouveaux membres (Autriche, Finlande et Suède), pays riches et réputés favorables à l’aide aux pays du Sud, les pays ACP ont estimé que l’effort de l’Union pour ce 8e FED pouvait atteindre 15,8 milliards d’écus ; mais il est apparu, au sein des Quinze, un mouvement général de réticence à l’égard de ces pays, qui s’est traduit par une opposition à un tel effort en leur faveur. Dix États, avec la France, ont su surmonter ces réticences et finalement accepter d’accroître notablement leurs contributions volontaires au FED sur une base globale de 14,6 milliards d’écus proposée par la présidence française. Cependant, les négociations conduites en février n’ont pu aboutir en raison de l’opposition radicale manifestée par quatre pays.
Le Royaume-Uni d’abord a exigé une réduction de sa contribution de 16 à 10 % du FED, soit 1 milliard de livres sur cinq ans. L’argument principal avancé par Londres pour défendre sa position a consisté à affirmer sa préférence pour l’aide bilatérale, politiquement plus intéressante et plus rémunératrice pour les entreprises britanniques. L’Allemagne ensuite, après avoir demandé une réduction de sa participation, s’est repliée sur une position plus modérée, maintenant sa contribution à un niveau égal au précédent FED. L’Italie et les Pays-Bas enfin, qui comme l’Allemagne plaident pour le maintien du niveau de leur contribution, se justifient par leurs difficultés concernant leur déficit budgétaire et laissent entendre, eux aussi, qu’ils souhaitent désormais privilégier l’aide bilatérale.
Prêt à provoquer une crise au sein de l’Union sur ce dossier politiquement plus important qu’il n’y paraît, le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé, qui présidait les négociations, a préféré le report à un compromis inacceptable et a décidé de poursuivre ses efforts jusqu’au mois de mai. En quoi cette affaire est-elle politiquement si importante ?
D’abord, elle constitue une preuve tangible du désintérêt croissant pour l’Afrique de trois des pays les plus importants de l’Union européenne : l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie. Cette attitude est inquiétante, car même si, par exemple, le Royaume-Uni effectue une « gesticulation » diplomatique la plus visible possible sur le dossier de la prévention des conflits sur le continent, ces trois pays affichent des positions clairement négatives dans le domaine le plus essentiel des relations avec l’Afrique, celui de l’aide au développement.
Ensuite, cette affaire montre bien un revirement de ces trois pays à l’égard de la construction d’une politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne. Au-delà du problème de l’aide économique à l’Afrique, ce nouveau plaidoyer en faveur d’un retour au bilatéralisme risque en effet de ruiner les efforts de l’Union pour bâtir une nouvelle politique d’aide aux pays du Sud et à lui permettre de mieux s’imposer dans ce domaine sur la scène internationale, face aussi bien aux autres grandes puissances qui, comme les États-Unis ou la Russie, ne s’intéressent plus beaucoup au continent noir, qu’au FMI ou à la Banque mondiale dont les pays de l’Union sont des membres importants et au sein desquels, si ceux-ci parlaient d’une seule voix, ils auraient, sur les politiques de développement, une influence majeure.
Cette situation est d’autant plus regrettable que l’Union européenne a entrepris depuis plusieurs mois, conformément aux Accords de Lomé, un travail de rénovation de sa politique d’aide. Cette redéfinition développée au cours des négociations pour le renouvellement de la 4e Convention de Lomé qui prendra fin en l’an 2000 a intéressé deux volets. Le premier concerne les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. L’objectif est de lier beaucoup plus étroitement la politique d’aide et de coopération européenne « au respect des droits fondamentaux de l’homme, à la reconnaissance et à l’application des principes démocratiques, à la consolidation de l’État de droit et à la bonne gestion des affaires publiques ».
Ce lien doit notamment se concrétiser par l’introduction explicite dans le texte de la nouvelle Convention d’une clause prévoyant une procédure urgente de consultation en cas de non-respect de ces principes, puis d’une suspension totale ou partielle de l’aide si des solutions satisfaisantes ne sont pas trouvées. Cette formule introduit donc un élément de conditionnalité politique clair qui permet de relégitimer, aux yeux des opinions publiques occidentales de plus en plus hostiles à l’aide aux dictatures et aux régimes autoritaires ou corrompus, les efforts consentis par les pays de l’Union. Elle reste suffisamment souple par sa procédure de mise en œuvre pour ne pas provoquer des ruptures inconsidérées ou contraires aux intérêts de l’Union.
Le deuxième volet porte sur la mise en place d’un contrôle plus rigoureux de l’utilisation de l’aide. L’idée consiste à appliquer une programmation par tranches des crédits et à ne verser que 65 % des montants prévus dans un premier temps. Le reste ne sera débloqué que s’il est démontré que l’argent a été bien utilisé et si les objectifs fixés pour les projets ont été effectivement atteints. En outre, la préparation et l’évaluation de ceux-ci seront beaucoup plus étroitement contrôlées par la Commission européenne.
Cette nouvelle approche peut difficilement avoir un impact et une crédibilité significatifs si, en réduisant le volume de son aide, l’Union européenne donne l’impression de se laisser aller à l’abandon de l’Afrique, ou, au mieux, se montre encore une fois victime des désaccords entre ses principaux membres.
Paradoxalement en tout cas, la France, qui est longtemps apparue comme un champion de l’aide bilatérale et un ardent protecteur de ses « chasses gardées » africaines, défend aujourd’hui avec vigueur non seulement la nécessité de marquer davantage sa solidarité avec l’Afrique, mais aussi celle de rendre plus dynamique l’effort multilatéral en général, et particulièrement celui de l’Europe, seul moyen de compenser les difficultés liées à la crise économique qui frappe aussi les pays donateurs.
De fait, le dernier rapport du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE confirme bien les difficultés dramatiques auxquelles l’Aide publique au développement (APD) est aujourd’hui confrontée. Pour la première fois, en effet, depuis plus de 20 ans, l’APD des pays de l’OCDE est tombée de 60,8 milliards de dollars en 1992 à 56 milliards en 1993. L’aide multilatérale se révèle la plus touchée par cette baisse : moins 13 % contre moins 6 % pour l’aide bilatérale. Ajoutons que la Russie et les autres pays de l’Est ont renoncé à donner et sont même devenus demandeurs d’aides, et donc des rivaux pour les pays du Sud, et que les pays arabes pétroliers qui fournissaient le quart de l’APD dans les années 70 n’en ont fourni que 2 % en 1993 !
Or les chiffres du CAD montrent aussi que l’Afrique est la principale victime de cette évolution dans la mesure où, à la différence des autres régions du Tiers-Monde, elle continue d’être à l’écart des apports privés du Nord vers le Sud… C’est précisément les pays européens du CAD qui restent pour le continent les principaux donateurs ; pas moins de 64 % de l’aide distribuée par la Commission européenne est en effet destinée à l’Afrique. Alors que le Japon n’octroie que 9,4 % de son aide bilatérale à ce continent, les États-Unis 18,5 %, l’Australie 8,5 % et le Canada 35 %, la France, elle, lui accorde 55 % de son aide, la Belgique 58,1 %, le Danemark 62,9 %, l’Italie 39,8 %, le Royaume-Uni 45,3 %, les Pays-Bas 37,7 %… et le Portugal 99,7 %. ♦