Asie - Vietnam : des succès diplomatiques qui ne doivent pas masquer une dure réalité
L’année 1995 aura été très bénéfique pour la diplomatie vietnamienne avec deux succès attendus, mais néanmoins significatifs : l’établissement des relations diplomatiques avec les États-Unis et l’adhésion à l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Ansea). Il y a seulement trois ans, après l’effondrement de l’empire soviétique, la république démocratique du Viêt-nam (RDV) était encore montrée du doigt comme l’un des rares pays se réclamant obstinément d’un marxisme pur et dur. Ce retour du Viêtnam dans la communauté internationale, tout aussi souhaitable qu’il soit, n’est pas la conséquence d’un changement profond du régime qui, même avec quelques assouplissements, reste l’un des plus rigides du monde. Que ce soit en économie ou dans l’évolution du régime vers plus de démocratie, un jeu subtil, plein de rebondissements et de journées des dupes, va se jouer entre les caciques d’Hanoi et leurs partenaires étrangers.
Lorsque, le 11 juillet 1995, le président Clinton annonça sa décision d’établir des relations diplomatiques avec la RDV, ce fut pour lui une sorte de victoire personnelle. Ayant échappé à la conscription pour la guerre américaine au Viêt-nam, il lui a systématiquement été reproché, à chaque mouvement vers Hanoï, de vouloir établir une réconciliation blessante pour les vétérans et surtout pour les familles des G.I. disparus (1). Sa réponse fut constamment qu’un retour de ce pays dans la communauté internationale serait d’une grande importance pour le Sud-Est asiatique et que cela servirait les objectifs américains d’un Viêtnam pacifique dans une Asie stable. Pour contrer les opposants du Sénat et de la Chambre des représentants, il réussit à faire approuver son projet par quelques vétérans de renommée comme le républicain John McCain et le démocrate John Kerry qui encadrèrent Bill Clinton le jour de l’annonce présidentielle. La décision de l’Ansea d’accepter la demande d’adhésion du Viêt-nam a largement contribué à faire pencher la balance du côté de ceux qui préconisaient la normalisation des relations. Comme le faisait remarquer Harish Mehta dans le Business Times de Singapour : « Ne pas reconnaître une nation qui s’apprête à devenir un nouveau membre de l’Ansea aurait remis en question les relations des États-Unis avec cette Association ». Il est probable que, sans cet événement, l’Administration Clinton n’aurait pas pris le risque politique d’une décision si controversée avant l’élection présidentielle de 1996. Finalement, vingt ans après la fin de la guerre, les relations diplomatiques furent formellement établies par un voyage de Warren Christopher à Hanoï et les ambassades respectives déclarées ouvertes le 6 août dernier.
En faisant preuve de bonne volonté sur la question des disparus américains, Hanoï, qui a déjà obtenu en février 1995 la fin de l’embargo économique, n’a qu’un objectif : obtenir le statut de la nation la plus favorisée. Pays communiste, ce statut ne pourra lui être accordé que pour une période d’une année et faire l’objet d’un vote pour chaque renouvellement. Il est fort probable que le Congrès le liera aux progrès obtenus dans les recherches des dépouilles des soldats morts en service. Par contre, les Américains s’abstiendront de lier le renouvellement du statut commercial à la question des droits de l’homme, après l’échec d’une telle politique avec Pékin. À Hanoï, on s’attend bien à des pressions de Washington à propos des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés politiques, mais on se dit qu’après avoir survécu au napalm, à un long embargo économique et aux « navets » hollywoodiens sur la guerre, le régime peut très bien résister à une certaine dose de propagande américaine. Le discours de Warren Christopher devant un parterre d’étudiants, le 6 août, n’a même pas été mentionné dans les médias. À titre anecdotique, le premier ambassadeur vietnamien sera le vice-ministre des Affaires étrangères Tran Quang Co. C’est lui qui, en octobre 1978, avait attendu plusieurs semaines, à New York, une normalisation qui n’était pas venue car les Américains craignaient une réaction très négative de Pékin.
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