Afrique - L'allègement du dispositif français en Afrique
À l’issue d’une visite au Gabon, au Tchad et en Centrafrique, le ministre français de la Défense Alain Richard a confirmé officiellement le 4 août 1997 le réajustement de la présence militaire française en Afrique (relevant de sa compétence, c’est-à-dire hors de la coopération militaire bilatérale conduite par la mission militaire du secrétariat d’État à la Coopération). Ce réajustement avait déjà été préparé dans ses grandes lignes par son prédécesseur Charles Millon et examiné lors d’un Conseil de défense début avril 1997. Résultant du processus en cours de réorganisation des armées françaises, ce réajustement doit permettre d’alléger ce dispositif africain sans remettre en cause ses fonctions essentielles, et réduire ses coûts. « La mobilité et la disponibilité accrues de nos unités, jointes au renforcement de nos moyens aériens permettront d’atteindre la même capacité d’action avec moins d’hommes » a déclaré Alain Richard, qui précise : « Nous prévoyons de nous concentrer sur quatre bases très fonctionnelles en Afrique de l’Ouest et du Centre : Dakar (Sénégal), Libreville (Gabon), N’Djamena (Tchad), et Abidjan (Côte d’Ivoire), plus celle de Djibouti. L’effectif total passera de 8 100 militaires à moins de 6 000 ».
Au Sénégal : après un débat difficile et certaines hésitations, il a été décidé de maintenir le dispositif permanent existant dans la région de Dakar (actuellement environ 1 200 hommes), mais en réduisant notamment le nombre d’hommes effectuant des séjours de longue durée avec leurs familles. On se montre d’ailleurs préoccupé, du côté sénégalais, par les retombées économiques éventuelles de ces décisions. De plus, à commencer par le président Abdou Diouf lui-même, on montre une forte réticence à l’idée de se lancer dans un processus de remise en question du traité de défense (envisagé du côté français), qui pourrait laisser croire à un désengagement français. Le Sénégal avait conclu ce traité avec Paris en 1960, qui a été entièrement renégocié en 1974, et qui, outre l’octroi de facilités militaires, ne prévoit d’intervention éventuelle de la France qu’en cas d’agression extérieure contre le Sénégal. Quoi qu’il en soit, le Sénégal paraît aujourd’hui plus actif et plus ouvert dans ses perspectives politico-militaires que bien d’autres pays francophones du continent. Très présent dans de nombreuses opérations multilatérales de maintien de la paix, dans un cadre onusien ou régional, et très engagé dans les opérations interafricaines (Zaïre en 1978, Tchad en 1982, Rwanda en 1994, Centrafrique en 1997…), il est en pointe dans les efforts de mise en œuvre de nouvelles capacités africaines de maintien de la paix avec les États-Unis et la France. Événement notable : depuis juillet 1997, le Sénégal est, avec l’Ouganda, le premier pays africain à accueillir plusieurs dizaines de militaires américains du troisième bataillon des forces spéciales de Fort Bragg en Caroline du Nord, conformément à l’initiative américaine de réaction aux crises africaines (ACRI).
Au Gabon : « L’effectif français à Libreville ne baissera pas, et il est même prévu d’augmenter les moyens de déplacement à partir de Libreville », a confirmé Alain Richard en août. Les forces de présence françaises installées dans cette ville dans le camp de Gaulle, près de l’aéroport international, sont restées ces dernières années stables à un niveau moyen de 5 à 600 hommes, en dehors des opérations exceptionnelles au cours desquelles la base a servi de relais, comme ce fut le cas en 1997 lors des opérations d’évacuation au Congo. Le Gabon est lié à la France par un accord de défense (à l’origine quadripartite) depuis 1961 qui prévoit de nombreuses hypothèses : agression extérieure, crise grave intérieure et maintien de l’ordre, utilisation par la France du pays comme relais, appui par les forces françaises stationnées, facilités portuaires… Ce traité ancien est considéré à Paris comme l’un de ceux qui nécessitent une rénovation. Il reste que les intérêts pétroliers français dans le pays, la situation inquiétante en Afrique centrale, mais aussi l’énergie déployée par le président Bongo dans des dossiers de conflits africains, notamment celui du Tchad dans les années 80, ou récemment la crise centrafricaine et la mise en place de la Misab, ont joué un rôle important en faveur du maintien d’une présence française au Gabon.
En Côte d’Ivoire : la décision de maintenir le dispositif de Port Bouët, sans exclure l’idée d’en ralentir éventuellement les activités, en gardant ouverte l’option d’une réactivation, a été prise. La Côte d’Ivoire est également liée à la France par un traité datant de 1960 et jamais modifié ou actualisé. Le président Houphouët-Boigny s’est toujours montré partisan actif d’une coopération militaire la plus étroite possible avec Paris. Son successeur reste sur la même ligne. Il déclarait récemment au Point : « Nous avons signé des accords militaires avec la France, et ils ne nous ont jamais gênés. Si la Côte d’Ivoire a progressé de manière spectaculaire, c’est grâce à la sécurité que la présence française nous a assurée, écartant toute envie d’agression extérieure et nous permettant de ne pas dépenser nos maigres budgets dans l’achat d’armes ».
Au Tchad : « Le système de l’opération Épervier sera consolidé et sera maintenu. Nous allons profiter aussi de l’excellente infrastructure aérienne dont nous disposons à N’Djamena pour permettre des rotations plus fréquentes de nos avions de combat », a expliqué le ministre de la Défense. Le dispositif Épervier avait été installé en 1986, à la suite de l’opération Manta, pour contribuer à dissuader les Libyens de toute offensive contre le Tchad. Prévu à l’origine pour une durée provisoire, il prend donc désormais le chemin d’une plus grande permanence à un niveau sans doute supérieur au niveau actuel de 850 hommes. À la différence du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Gabon, il n’y a pas entre le Tchad et la France de traité de défense clairement en vigueur. Cela n’a pas empêché Paris de déployer dans le pays une présence militaire parmi les plus lourdes et les plus coûteuses du continent, ou de s’engager depuis quelques années dans un appui coûteux à la restructuration des forces armées dont les résultats sont controversés, et qui est depuis un peu en partie relayé par la Banque mondiale.
À Djibouti : depuis le début des années 90, la présence militaire française à Djibouti a été, en raison de son coût très élevé (environ 3 500 hommes), l’objet de nombreuses discussions au sein des autorités politiques et militaires. Un arbitrage en faveur du maintien avait été décidé à l’occasion de la rédaction du Livre blanc sur la Défense sous le gouvernement d’Édouard Balladur en 1994. Depuis, le principe du maintien a été confirmé, mais les exigences de réduction des coûts sont devenues plus fortes et vont imposer des réajustements notables. Difficulté à surmonter : toute réduction aura des effets majeurs sur l’économie du pays.
En Centrafrique : les éléments français d’assistance opérationnelle (EFAO), environ 1 400 hommes présents à Bouar et à Bangui, devront, à un terme rapproché, quitter le pays. La base de Bouar, à 450 kilomètres au nord de Bangui, sera fermée « pour des raisons budgétaires et de professionnalisation de l’armée française » a indiqué Alain Richard. Le calendrier du retrait n’est pas encore définitivement fixé. En attendant, en tout cas, l’appui à la Misab n’est pas remis en cause. Le lourd passif franco-centrafricain, accumulé au cours des dernières années, aura finalement pesé de manière décisive au moment des choix. La Centrafrique devient clairement le pays le plus radicalement touché par ce plan de resserrement de la présence militaire française en Afrique, y compris par les conséquences économiques du retrait, puisqu’on estime que cette présence rapporte quelque 13 milliards de francs CFA par an au pays. La décision, élaborée avant les élections législatives en 1997 et endossée par le nouveau gouvernement, sera de toute façon délicate à mettre en œuvre en raison de la situation instable du pays et de l’avenir aléatoire de la Misab, surtout si le régime d’Ange Félix Patassé y réagit négativement et préfère chercher ailleurs d’autres formes de soutien à son maintien au pouvoir ainsi que s’engager dans une crise avec Paris, plutôt qu’une négociation amiable sur les conditions du retrait. ♦