Mémoires
De nombreux lecteurs seront conquis par le premier tome des mémoires de Michel Poniatowski, qui a été un témoin privilégié des grands événements de l’histoire de France au cours des cinquante dernières années. Les moments forts de son existence particulièrement active commencent pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il est incorporé dans les chantiers de jeunesse. Puis c’est le passage mouvementé en Espagne après la débâcle de juin 1940, le séjour au Maroc et l’engagement dans le 1er bataillon de choc. Le nouveau soldat rejoint les maquis de la Résistance après avoir été parachuté dans la Drôme à la fin du mois de juillet 1944. Après ces nombreuses péripéties qui lui ont forgé une âme de combattant, Michel Poniatowski entre à l’ENA au lendemain de la guerre.
À cette occasion, l’auteur nous fait part de remarques intéressantes sur cette prestigieuse école qui fait aujourd’hui l’objet de controverses. Le vrai problème de cet établissement élitiste réside dans ce « carriérisme universel » qui marque fortement « l’énarchie » contemporaine. De fait, la France est devenue une « république énarchique », qui possède un esprit de corps dont la ferveur est cependant atténuée par la rivalité des ambitions : « Dans trop de cas, on ne sert plus l’État pour l’honneur de ce service… on se sert de lui à des fins personnelles », reconnaît Michel Poniatowski. De son séjour dans cette école renommée, l’auteur conserve un souvenir ému de certains professeurs. Parmi ceux-ci, Jean Fourastier lui a prodigué un conseil qui est devenu l’une des grandes lignes de force de son parcours politique : « Votre carrière va se dérouler en des temps de bouleversements et de transformations si rapides et dans des conditions si complexes que la seule doctrine utile est de ne pas avoir de doctrine du tout. Gardez-vous des théories et des abstractions, obéissez au bon sens ».
Affecté au Maroc à sa sortie de l’ENA, puis à Washington, Michel Poniatowski devient un haut fonctionnaire des finances qui côtoie les politiciens les plus en vogue. C’est dans la capitale des États-Unis qu’il collabore pour la première fois avec Valéry Giscard d’Estaing, puis avec Edgar Faure. Celui-ci lui expose une méthode de travail qui deviendra son principal repère : « Il faut toujours suivre les indications dictées par le bon sens ; il faut écarter sans hésiter les recommandations des experts en contradiction avec le bon sens ; les experts sont là pour mettre dans une forme techniquement appropriée les solutions que le bon sens suggère et que la technocratie écarte ». Par la suite, l’auteur entre dans différents cabinets ministériels de la IVe République. Il est notamment nommé directeur adjoint du cabinet de Pierre Pflimlin (ministre des Finances de Félix Gaillard, puis président du Conseil). C’est à ce poste d’observateur averti qu’il nous raconte heure par heure la déliquescence de la IVe République minée par la guerre d’Algérie et les folles journées de mai 1958 qui se termineront par le retour du général de Gaulle au pouvoir. Michel Poniatowski nous décrit une France au bord de la guerre civile, une Chambre des députés en plein désarroi, des politiciens incapables de maîtriser les événements, les préparatifs de l’opération « Résurrection » au cours de laquelle les parachutistes d’Alger devaient sauter sur Paris, le rôle majeur joué par les écoutes téléphoniques pour obtenir des informations dans cette période difficile de l’histoire, et un général de Gaulle parfaitement serein qui attendait son heure pour prendre, dans des conditions légales, la direction des affaires de la France. L’agonie des derniers jours de la IVe République est d’ailleurs très bien résumée dans cette formule célèbre de René Pleven : « Nous débattons du pouvoir et nous ne disposons plus d’aucun pouvoir ; voici le ministre de l’Algérie, il ne peut se rendre en Algérie ; voici le ministre de la Défense nationale, l’armée ne lui obéit plus ; le ministre de l’Intérieur, la police lui échappe ; quant à moi, ministre des Affaires étrangères, j’ai mis au point un protocole d’accord avec la Tunisie que je ne peux même pas signer ».
Le premier tome de ces mémoires captivantes se termine à la naissance de la Ve République : le nouveau ministre des Finances Antoine Pinay a pour adjoint et secrétaire d’État au budget Valéry Giscard d’Estaing. Le futur président de la République invite alors Michel Poniatowski à diriger son cabinet. Tout au long de ce récit, les lecteurs seront frappés par la très grande précision avec laquelle les portraits sont faits et les événements relatés. Ce souci d’exactitude confère à cette passionnante autobiographie un grand intérêt historique. ♦