La Gendarmerie
Quoi qu’en disent certains auteurs soucieux d’arborer une déconcertante facilité afin de mieux dissimuler, le pensent-ils tout au moins, l’âpreté de leur sempiternel duel avec la page blanche, l’écriture d’un ouvrage n’est certainement pas chose aisée. De même, quelques années plus tard, élaborer une édition mise à jour et refondue dudit ouvrage ne peut raisonnablement se réduire à une simple formalité consistant, çà et là, à retoucher l’écriture, à remodeler l’ordre et la consistance des paragraphes, à faire divers ajouts, à substituer quelques chiffres et données. Les auteurs de la réédition du « Que sais-je ? » consacré à la gendarmerie ont été confrontés à cette démarche difficile, tant il est vrai que la première mouture, datant de 1983, semblait désormais, sur un nombre important de développements, en retard, en décalage, en rupture avec la gendarmerie d’aujourd’hui. Pour mener à bien cette entreprise, l’équipe initiale s’est étoffée, Hubert Haenel et René Pichon s’étant adjoint, pour cette seconde édition, un officier de gendarmerie en la personne du chef d’escadron Richard Lizurey.
Avant de formuler quelques remarques et précisions, force est, tout d’abord, d’accueillir avec satisfaction la réédition de ce petit livre, qui contribue, avec les qualités et les limites inhérentes à ce type de publication, à disputer à l’ignorance et au sens commun cette institution aussi familière que méconnue qu’est la gendarmerie. Sous réserve de divers ouvrages à orientations et propos journalistiques, cette institution « à part » selon le mot de Napoléon représente, en effet, un sujet d’étude largement ignoré par les universitaires et les chercheurs. C’est dire combien ce « Que sais-je ? », dans cette nouvelle version, s’inscrit dans le projet de faire mieux connaître la gendarmerie, l’ouvrage apportant une somme d’informations sur ses missions, son organisation territoriale et fonctionnelle, ainsi que sur ses moyens (budget, personnel, équipement et infrastructure), qu’il s’agisse de décrire, par exemple, sa fonction de police militaire, les structures de la gendarmerie départementale ou encore les modalités de recrutement et de formation de ses personnels.
À première vue, cette seconde édition ne présente pas de différences fondamentales par rapport à la précédente. De bouleversements, il n’y en a donc guère, si ce n’est la judicieuse apparition de quelques pages consacrées à la gendarmerie en tant qu’« institution spécifique » (ce qui n’est pas pour déplaire à l’auteur de ces lignes) et la curieuse suppression de la bibliographie sommaire de fin d’ouvrage, ce qui, au-delà du problème d’accès aux sources pour qui entend prolonger sa lecture, paraît quelque peu regrettable pour un écrit dont l’objet est justement de faire, rappelons-le, « le point des connaissances actuelles ». En pénétrant davantage dans le texte, cette impression de « déjà lu » ne parvient que difficilement à se dissiper, malgré le souci louable qu’ont eu les auteurs de dégager une photographie la plus récente possible de la gendarmerie, ce qui les a conduits à faire figurer dans cette réédition des développements, au demeurant fort pertinents, sur l’organisation de ses structures de police technique et scientifique (pp. 51-52), ainsi que sur la diversité des engagements de ses formations à l’extérieur du territoire national (pp. 100-103).
Cette actualisation était, il est vrai, plus qu’indispensable, au regard des profondes mutations que la gendarmerie a connues depuis le début des années 90. À l’origine de ce mouvement, qui s’est notamment traduit par la réorganisation du service de nuit et la création des centres opérationnels de la gendarmerie (COG), le développement de l’informatique, la réduction des astreintes et l’instauration des quartiers libres, la mise en place de nouveaux mécanismes de concertation et la redéfinition empirique des relations hiérarchiques, se trouvent incontestablement la fronde épistolière et le malaise des gendarmes de l’été 1989, qui ont agi comme catalyseurs et révélateurs des dysfonctionnements, archaïsmes et tensions, en un mot de la crise de la gendarmerie de la fin des années 80. Pour expliquer cette véritable révolution silencieuse engagée en quelques années, il est nécessaire également de faire état des pressions exercées par l’évolution de son environnement dans la société et dans le monde. Citons, pêle-mêle, la réorganisation de la défense nationale, les bouleversements des équilibres géostratégiques et la multiplication des opérations de maintien de la paix, les progrès de la coopération européenne concernant la sécurité, l’obscurcissement de la frontière entre défense nationale et sécurité intérieure, le développement des missions de lutte contre la toxicomanie et de protection de l’environnement, l’introduction des plans départementaux de sécurité et les dispositions de la loi d’orientation sur la sécurité du 21 janvier 1995, la relance des politiques publiques d’aménagement des territoires urbains et ruraux… Si certains de ces facteurs externes apparaissent, au moins quant à leurs effets, dans le livre d’Hubert Haenel, Richard Lizurey et René Pichon, il n’en est pas de même, curieusement, s’agissant des événements de 1989, ce qui ne permet pas de saisir véritablement la nature et l’ampleur des mutations entreprises depuis.
Pour autant, la principale critique qui s’impose à la lecture de ce livre réside dans son penchant apologétique : nombreux sont en effet les développements en forme de louanges et de satisfecit parfois empreints de lyrisme. Ce constat ne signifie pas que le gendarme ne puisse légitimement voir reconnaître les aptitudes qu’il met en œuvre au quotidien pour la sécurité de ses concitoyens ; en fait, de tels jugements doivent, en toute hypothèse, demeurer étrangers au projet de présenter avec neutralité une institution qui d’ailleurs, à maints égards, a davantage besoin d’être l’objet de recherches objectives que de considérations flatteuses et normatives. Plus ou moins consciemment, les auteurs se sont efforcés de nous livrer une représentation radicalement lisse et résolument optimiste de la réalité « gendarmique », ce qu’illustre, en particulier, l’évocation des relations police-gendarmerie, qui n’est, en fait, qu’une vibrante plaidoirie en faveur du dualisme policier en général et de la préservation de l’existence institutionnelle de la gendarmerie en particulier, s’achevant en point d’orgue par la formule emphatique : « différentes mais complémentaires, telles sont et doivent demeurer la police et la gendarmerie » (p. 120).
D’une façon plus particulière, il pourra être fait le reproche aux auteurs de s’entêter à défendre, à grand renfort d’arguments discutables, le parti pris éculé et stérile selon lequel la gendarmerie serait une « armée » (p. 105) : une affirmation aisément démentie et qui, par ailleurs, paraît en contradiction avec la reconnaissance de la spécificité de la gendarmerie, cette dernière n’étant ni une quatrième armée, ni une seconde police, mais un corps militaro-policier atypique. De même, le lecteur avide de découvrir l’essentiel de cette institution se serait très certainement passé des pages relatant les problèmes corporatistes de franchissement de grade des officiers et sous-officiers (pp. 85-89), ou encore de la présentation des effectifs détaillés et des trois corps de la police nationale (pp. 121-122).
Pour conclure, si ce petit livre bien documenté apporte des réponses simples et rapides aux questions fondamentales que tout un chacun est en droit de se poser sur l’organisation et le fonctionnement de la gendarmerie, il se révèle malgré tout d’un intérêt relativement limité au regard du caractère par trop descriptif de ses développements : un constat qu’il convenait de dresser pour la première édition et auquel il paraît bien difficile d’échapper pour la seconde. ♦