Vers un nouvel ordre du monde
Vers un nouvel ordre du monde
Gérard Chaliand poursuit sa réflexion, entamée depuis de longues années avec ses pérégrinations et ses publications, sur le nouvel ordre mondial, encore qu’on aurait pu attendre que la réflexion s’intitulât « vers un nouveau désordre mondial ». Le livre présente un double intérêt. Bien que prenant l’année 1979 comme point de départ des mutations actuelles, les évolutions de chaque grande aire culturelle ou de chaque puissance sont analysées dans le temps long. Il est clair, à la lecture du livre, que le dégel de la banquise idéologique que constituaient les primats stratégiques de la guerre froide, a redonné vie aux grands axes géopolitiques traditionnels. La multipolarité, c’est aussi cela : comprendre que la globalisation n’explique pas comment chacun raisonne.
La médiatisation des crises et conflits privilégie toujours le temps court et l’urgence qui pointe, sans chercher à expliquer vraiment pour passer ensuite rapidement à l’actualité suivante. À cet égard, le livre est un exercice de régénérescence des cellules cérébrales. Les chapitres sur l’Inde, le Pakistan, et même les États-Unis, sont des bains de jouvence intellectuels. De plus, la connaissance historique est appuyée sur une pratique du terrain que nombre de gouvernants et décideurs ont depuis longtemps abandonnée. George W. Bush – pour ne parler que de lui – n’avait jamais été qu’au Mexique avant d’entrer à la Maison-Blanche ! L’autre grande force du livre est de rester très près des déroulements et effets matériels des guerres et autres relations de force à la surface de la planète. La fin de la guerre froide a rouvert les portes noires des guerres que seule la peur du cataclysme nucléaire empêchait. Les désastres des conflits menés par l’hyperpuissance américaine, dans l’hubris guerrière qui a suivi les attentats du 11 septembre, sont froidement analysés et disséqués. On peut toutefois regretter que les postulats stratégiques de la droite républicaine américaine – qui, à bien des égards, se rapproche des programmes de l’extrême-droite européenne – ne soient pas plus précisément regardés. L’arrivée au pouvoir des néoconservateurs au Pentagone constitue pourtant une des grandes surprises stratégiques des dernières décennies.
Si le propos vise à tracer les grands traits de ce que pourrait être le nouvel ordre mondial, il y a tout à craindre que la montée en puissance de la Chine soit maladroitement gérée par une équipe aussi mal inspirée que fut celle de George W. Bush. Les périodes de forte incertitude stratégique ne sont pas les rivalités de puissances bien installées comme ce fut le cas pendant la guerre froide, mais les périodes de mutation de l’ordre international, les dominants se refusant en général au changement. Donc oui, la Chine à laquelle le livre consacre le plus d’espace est un facteur de changement majeur. Est-il déstabilisant par nature ? Oui et non, mais quelle est la part des perceptions mutuelles dans ce débat ? L’apport de Michel Jan apporte toutes les nuances indispensables à l’analyse de cette question. L’Europe est peu traitée. La crise actuelle la paralyse et ses difficultés à gérer la crise yougoslave ou même à mener seule les opérations en Libye démontrent ses limites militaires. Il reste que c’est le seul espace géopolitique où depuis cinquante ans, les différends se règlent par la discussion et le consensus, sans menaces ni guerres. C’est peut-être le véritable modèle d’avenir !