La politique de paix affirmée par M. Brejnev comporte deux projets importants : l'un européen, avec la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), est aujourd'hui proche de sa conclusion ; l'autre, relatif à l'organisation d'un système de sécurité collective en Asie, est moins connu et n'a pas, de loin, obtenu jusqu'ici le même succès. Les États asiatiques hésitent en effet à s'engager dans une organisation dont l'Union soviétique serait la clef de voûte mais qui, par là même, mécontenterait Pékin.
Un projet soviétique : la sécurité collective en Asie
Le 7 juin 1969, une « petite phrase » de M. Léonid Brejnev, au fil des discours qu’il prononçait alors à Moscou devant la Conférence des Partis communistes et ouvriers, retenait l’attention des observateurs internationaux. « Nous pensons, avait en effet déclaré le Premier Secrétaire du P.C.U.S., que l’évolution des événements met aussi à l’ordre du jour la tâche de créer un système de sécurité collective en Asie ». Interrogées à ce sujet, les autorités soviétiques se référaient à un article paru le 28 mai dans les Izvestia. Le problème de la sécurité en Asie y avait été en effet abordé dans la perspective du retrait des forces britanniques stationnées à l’Est de Suez et d’un probable désengagement américain après règlement de l’affaire vietnamienne. Il s’agissait, dans l’esprit de Moscou, d’aboutir à la suppression des blocs antagonistes, au départ des troupes étrangères, au règlement pacifique des litiges sur le continent asiatique et, pour ce faire, de neutraliser les forces qui y entretiennent ou y favorisent un état de tension. La Chine était invitée à s’associer à cette entreprise. Mais, dans le contexte du différend sino-soviétique alors marqué par les affrontements qui venaient d’avoir lieu dans la région de l’Oussouri, la lecture de la presse moscovite donnait à penser que le système, parade à une éventuelle collusion nippo-américaine en Asie, visait surtout à contenir la République Populaire dont on paraissait alors estimer qu’elle « avait des vues bien arrêtées sur un certain nombre de pays de la région ».
Une telle proposition, encore peu explicite et bientôt mise en sommeil en raison de la persistance du conflit indochinois et de son influence sur le comportement des États asiatiques, ne suscita tout d’abord qu’un médiocre intérêt. Mais il fallut convenir par la suite que, liée à la stratégie d’ensemble du Kremlin en Asie, elle devenait après la crise indo-pakistanaise de 1971 et avec l’approche de la fin des combats au Vietnam un thème majeur de sa diplomatie. Rappelée en effet le 20 mars 1972 par M. Brejnev devant le Congrès des Syndicats d’U.R.S.S. dans des conditions qui paraissaient cette fois inspirées des principes retenus pour la détente européenne, cette proposition devait faire l’année suivante l’objet d’une nouvelle relance et aussi d’un effort d’adaptation aux réalités asiatiques. M. Kossyguine en février 1973, puis M. Gromyko à l’occasion de la Conférence internationale de Paris sur le Vietnam, offraient à nouveau aux pays d’Asie de négocier avec l’U.R.S.S. une structure de paix fondée sur les principes énoncés par M. Brejnev. Celui-ci, pour sa part, développait son projet dans quatre discours prononcés successivement à Alma-Ata le 17 août 1973, à Moscou le 27 octobre à l’occasion du Congrès international des forces de la paix, à New Delhi le 29 novembre, enfin dans la capitale soviétique, le 11 décembre, au cours du Plénum du Comité central du P.C.U.S.
Ainsi, les traits essentiels du plan de sécurité collective en Asie — plan d’ailleurs susceptible d’inclure les pays du Proche-Orient — se trouvaient désormais précisés. Quatre points soulignés dès 1969 et repris par le Programme de Paix présenté lors du 24e Congrès du P.C.U.S. en février 1971 en constituaient les principes fondamentaux : inviolabilité des frontières — renonciation au recours à la force — non-ingérence dans les affaires intérieures et respect de la souveraineté des États — développement d’une large coopération, notamment économique, sur la base de l’égalité et des avantages mutuels. À ceux-ci allaient s’ajouter, en 1973, cinq nouveaux concepts qui prenaient davantage en considération les intérêts des pays asiatiques et aussi ceux du Tiers Monde en général : obligation de régler tous les différends internationaux par des moyens pacifiques — droit des peuples à disposer d’eux-mêmes — renonciation à l’annexion d’un territoire par la force — respect du droit de chaque État à la propriété de ses ressources naturelles — droit des peuples à la réalisation des mutations économiques et sociales. Il était de plus indiqué que la sécurité collective aurait à s’inspirer de modèles authentiquement asiatiques, tels les principes de Bandoung et certains arrangements internationaux intervenus en Asie, notamment au niveau régional. Se défendant de vouloir en faire un instrument à la disposition de l’U.R.S.S., M. Brejnev soulignait par ailleurs qu’aucun avantage unilatéral ne pourrait être retiré par quiconque de sa participation au système et il invitait chaque État à apporter à son élaboration sa propre contribution.
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