Une esquisse de la perception qu’ont les jeunes officiers de leur positionnement dans la société est proposée qui, partant d’une situation professionnelle en constante évolution, révèle un sentiment général de déclassement et de singularité mais aussi une grande hétérogénéité des postures individuelles, indice d’une certaine banalisation.
Les jeunes officiers dans la société française
Young officers in French society
A sketch of young officers’ perceptions of their position in society is proposed that, starting from a professional situation that is constantly evolving, reveals a general feeling of decommissioning and uniqueness, but also a wide diversity of individual positions, hinting at a certain trivialization.
Comment les jeunes officiers français se sentent-ils perçus au sein de la société française ? La question, vaste, pose d’emblée des problèmes de définition : de quels officiers parle-t-on (armées, armes, écoles, etc.) ? Qu’est-ce précisément qu’un « jeune » officier ? Que doit-on entendre par « société » ? Une fois ces points éclaircis, traiter la question de façon rigoureuse nécessiterait la réalisation d’une vaste étude empirique, qui n’a pu être menée. C’est donc en s’appuyant sur des éléments d’études récentes, auxquels s’ajoutent des données partielles issues de quelques entretiens, que l’analyse est développée. Elle se donne moins pour objectif de répondre exhaustivement à la question que de défricher le sujet.
Les constats
Les raisons de l’intérêt pour les perceptions et sentiments des jeunes officiers dans leurs rapports à la société sont liées au malaise qui semble affecter de façon croissante les militaires, et les cadres en particulier, dû aux multiples réformes au sein des armées, aux choix politiques dans un contexte de crise, aux évolutions institutionnelles et à une série d’événements. On peut citer à titre d’exemple la réforme générale des politiques publiques et l’interarmisation, la publication des derniers Livres blancs, la démission d’un Cemat après le drame de Carcassonne, les réductions de moyens et de personnel (suppression de 54 000 postes civils et militaires d’ici 2015) au regard d’une activité opérationnelle intense, la rationalisation du déploiement avec la mise en place des Bases de Défense et un souci de mutualisation des services de soutien, les difficultés résultant de l’adoption du logiciel Louvois, une concurrence accrue entre officiers supérieurs avec une diminution des postes à responsabilités, etc. Interrogations, inquiétudes et expressions de mécontentement se multiplient. La tribune publiée dans Le Figaro (19 juin 2008) par un groupe d’officiers et de généraux issus des trois armées, sous le pseudonyme Surcouf, dénonçant l’amateurisme et l’incohérence du Livre blanc sur la défense présenté deux jours avant (« Véritable déclassement militaire » ; « Nous baissons la garde ») (1), paraît rétrospectivement avoir marqué le début d’une série d’articles ou d’expressions publiques moins conventionnelles (via les blogs, les réseaux sociaux, les commentaires ouverts d’articles en ligne) allant globalement dans le sens des propos du général (2S) Jean-Claude Thomann (2), selon lequel : « Les politiques détricotent allégrement (…) l’outil militaire et le budget qu’ils ont pourtant voté » ; « Cette indifférence, douloureusement vécue par les militaires qui ont bien pris conscience de leur déclassement vertigineux dans la hiérarchie des soucis de nos concitoyens, a de multiples causes », « (…) l’examen ne pourra que constater la dégradation des capacités et la paupérisation accélérée de l’institution militaire ».
On peut également évoquer l’action de l’Asaf (Association de soutien à l’armée française) dont la mission est de sensibiliser les citoyens aux questions militaires afin de faire en sorte que « l’armée reste au cœur de la Nation et qu’elle demeure une priorité pour l’État » (3). L’association voit croître la diffusion de son bulletin de 2 000 à 8 000 exemplaires en un an et la fréquentation mensuelle de son site passer de 800 à 14 000 contacts durant la même période. On relèvera enfin la publication d’ouvrages qui éclairent des réalités éloquentes : Paroles d’officiers (4) : « Les officiers sont unanimes pour constater que leur position dans la société s’est abaissée et que la reconnaissance du pays n’est pas à la hauteur des contraintes qu’ils ont acceptées, des risques qu’ils ont pris et des sacrifices qu’ils ont faits » (p. 105) ; « Les officiers s’estiment victimes d’un déclassement social lié à un décrochage des rémunérations, à une insuffisance des moyens accordés par l’État, à un faible intérêt de la population et du gouvernement pour les questions militaires » (p. 107) ; « Les officiers ne sont certes pas victimes de la précarisation ou du chômage de masse, mais leur statut est devenu moins prestigieux et, d’un point de vue relatif, ils ont connu une baisse sensible de leur niveau de vie. La solde d’un officier ne lui permet plus de devenir propriétaire à Paris ou dans les centres-villes des grandes agglomérations françaises » (p. 109).
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