Au sortir du second conflit mondial, l’ordre économique international apparaît comme la projection de la philosophie libérale des États-Unis : en sont membres les seuls États industriels à économie de marché. L’Union soviétique, la Chine, le monde socialiste préféreront rester à l’extérieur. Les pays en voie de développement sont encore des objets, et non des sujets, de la politique mondiale.

Avec les années soixante-dix s’ouvre la recherche d’un nouvel ordre économique mondial : la préoccupation est, alors, américaine ; elle répond à la nécessité de surmonter les rivalités économiques qui se font jour entre les États-Unis, l’Europe occidentale, le Japon. Consacrer la diversité du milieu social international, reconnaître des hiérarchies multiples correspondant aux différentes fonctions de la société internationale — et, d’abord, enregistrer la montée de la Communauté Européenne et du Japon dans le concert économique et financier : telles sont les lignes dominantes des divers plaidoyers pour une nouvelle politique étrangère américaine. Dans le même temps, sur l’échiquier politique, la doctrine Nixon-Kissinger a pour objectif la pleine réinsertion de l’U.R.S.S. et de la Chine dans le jeu international, leur soumission à un code commun de comportement. Fin du monde bipolaire, mise en place d’une nouvelle structure de paix : la vision d’un monde pentagonal — États-Unis, Union Soviétique, Chine, Japon, Europe occidentale — sera reprise et approfondie par les commentateurs. Un point est commun aux divers auteurs de modèles : le Tiers Monde — au sens strict — apparaît dénué de tout rôle actif sur la scène internationale.

Suit l’entrée par effraction du Tiers Monde comme nouveau pouvoir dans l’arène mondiale. Octobre 1973 : les États arabes, par l’utilisation politique de l’arme du pétrole, imposent à l’Europe occidentale et au Japon une neutralité « orientée » dans le conflit du Proche-Orient. Décembre 1973 : l’Organisation des pays exportateurs, par le quadruplement du prix du pétrole, engage une gigantesque redistribution des revenus. Mai 1974 : la sixième session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, convoquée à la demande des États du Tiers Monde, adopte une déclaration solennelle et un programme d’action « concernant l’instauration d’un nouvel ordre économique international », un nouvel ordre destiné, cette fois, à réduire le déséquilibre économique Nord-Sud. « Les avantages du progrès technique ne sont pas répartis équitablement entre tous les membres de la communauté internationale. Le revenu des pays en voie de développement, où vivent 70 % de la population mondiale, ne représente que 30 % du revenu mondial ». Automne 1974 : la vingt-neuvième session de l’Assemblée générale semble symboliser la victoire du Tiers Monde dans la confrontation politique Nord-Sud dont l’organisation mondiale était, depuis plusieurs décennies, le théâtre. L’Afrique du Sud mise au ban de l’Assemblée, l’Organisation de libération de la Palestine admise comme « représentant du peuple palestinien », la « Charte des droits et devoirs économiques des États » adoptée à une large majorité le 12 décembre : sur la liquidation des régimes de minorité blanche en Afrique, sur le conflit du Proche-Orient, sur les fondements d’un nouvel ordre économique — ses trois principaux thèmes d’action — le Tiers Monde a fait triompher ses vues.