Essai nucléaire. La force de frappe française au XXIe siècle : défis, ambitions et stratégie
Essai nucléaire. La force de frappe française au XXIe siècle : défis, ambitions et stratégie
Avec ce livre, l’auteur revient sur le débat du nucléaire, toujours aussi vivant. À cette fin, il synthétise les termes techniques et politiques de la discussion, avec le mérite de poser clairement les faits. La confrontation de ce travail à la situation contemporaine doit permettre de renouveler un débat aux positions toujours inchangées malgré les mutations du monde. Il assume d’ailleurs ouvertement sa position en faveur de la dissuasion, solution nécessaire à l’efficacité maximale dans un contexte de pacification tout relatif, même si des angles morts de la dissuasion demeurent.
L’auteur commence par revenir sur l’histoire de l’arme atomique et la construction progressive de son rôle dissuasif, qui n’était pas évident initialement. En effet, l’arme atomique a d’abord été utilisée, même si dès 1946, l’essai dans l’atoll de Bikini s’apparente déjà à une manœuvre de communication destinée à impressionner l’adversaire soviétique autant que les alliés des États-Unis. Si en France, l’atome, au début du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) créé dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, reste limité au domaine civil, l’auteur montre bien que la réflexion sur le nucléaire n’était pas en retard, au contraire. Le scientifique Maurice Nahmias prévoyait déjà « la fin des guerres par la terreur totale » au terme d’une course à l’armement qui devait permettre aux grandes puissances de suivre l’exemple des États-Unis. La guerre froide devient la nouvelle norme en substitut aux logiques clausewitziennes avec le risque de la Mutual Assured Destruction (MAD) et le pouvoir égalisateur de l’atome décrit notamment par l’amiral Raoul Castex. Déjà, les généraux Ailleret, Gallois, Poirier et Beauffre défendaient les théories de la dissuasion dans les colonnes de la Revue Défense Nationale.
En France, le pouvoir égalisateur de l’atome offrait à une puissance dépassée par les États-Unis et l’URSS de parler comme leur égale. Ce rapport de force est resté d’autant plus valable aujourd’hui qu’il permet une politique étrangère active et surtout indépendante, à l’inverse de nombreuses autres puissances européennes soumises à l’Otan. Il a permis à la France de s’affirmer comme un pôle autonome, surtout face à l’échec de l’Europe politique. Or, la dissuasion reste plus que jamais nécessaire selon l’auteur. Le monde avant l’atome n’était pas plus pacifique qu’aujourd’hui alors qu’il a permis à la guerre « froide » de le rester. D’ailleurs, Russie et États-Unis cumulent encore 90 % des 17 000 têtes nucléaires dans le monde et leurs relations demeurent tendues. L’immixtion de la Chine ou de l’Inde, voire de puissances régionales telles que le Pakistan ou l’Iran, contribue aussi à alimenter la poursuite de la course à l’armement. Ainsi, la Russie veut renouveler 85 % de son arsenal vieillissant d’ici 2020 afin de faire face à une puissance nord-américaine qui se veut toujours hégémonique. Par ailleurs, les armes conventionnelles sont aussi légion, de même que les armes de destruction massives, en particulier chimiques et biologiques. Ainsi, pour l’historien Coutau-Bégarie, l’atome dans le monde post-guerre froide ne fait que poursuivre son œuvre stabilisatrice, alors qu’au contraire, le désarmement restaurerait la rationalité de la guerre. L’auteur rappelle en outre que la dissuasion ne coûte depuis dix ans que 3,5 milliards d’euros chaque année, soit moins de 0,2 % du PIB pour une quasi-invulnérabilité. L’expertise et l’équipement français permettent un maintien de ce faible coût sans hypothéquer la modernisation de l’arsenal. Cette compétence profite d’ailleurs aussi aux forces conventionnelles, soit par une expertise transversale, pour la guerre électronique par exemple, soit en garantissant la liberté d’action des forces en opérations grâce à la menace d’une seconde frappe. Au-delà, les technologies nucléaires militaires bénéficient d’une dualité forte avec le civil. Le témoignage le plus visible reste le parc nucléaire français et le nombre d’emplois créés et maintenus en France.
D’ailleurs, l’auteur souligne que la France reste exemplaire sur le désarmement. Depuis les années 1980, elle a divisé par deux son arsenal et réduit le nombre de ses vecteurs stratégiques, abandonnant même le Plateau d’Albion et la composante pré-stratégique avec Hadès. Elle a en effet adopté la doctrine de la stricte suffisance, après avoir interrompu les essais nucléaires en 1996. Elle a aussi signé tous les accords de dénucléarisation impliquant un territoire d’outre-mer. La France a aussi toujours respecté strictement le Traité sur la non-prolifération (TNP). Elle a ainsi développé une expertise de pointe dans le domaine de la simulation, accessible seulement aux plus grandes puissances. Aller plus loin reviendrait à hypothéquer la force de frappe française. Non seulement le TNP, s’il n’oblige pas à désarmer, interdit tout retour ultérieur à l’état initial, mais surtout l’arme nucléaire repose sur un système scientifique et industriel qui, s’il est perdu, l’est définitivement. Or aujourd’hui, la force de frappe est déjà réduite à son minimum. Le cycle de rotation des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) autorise actuellement d’en avoir toujours un en mer, mais un de moins et cette permanence à la mer devient de facto impossible. Le vecteur aérien vient compléter le vecteur sous-marin en proposant plus de souplesse dans la riposte, tandis que les SNLE se chargent de l’anéantissement de l’adversaire en seconde frappe, formant ainsi une logique de dissuasion qui rejette sur l’adversaire toutes les incertitudes.
En réalité, l’auteur montre que la dissuasion relève d’une ambition politique. Hérité de la IVe République avec le virage militaire du CEA dès 1956, le programme nucléaire français n’a guère été remis en cause. La France ne veut plus subir d’humiliation, surtout après Suez. Par conséquent, la nation a développé sa filière atomique en toute indépendance pour conserver sa souveraineté pleine et entière, et l’a fait avec succès. Aujourd’hui, c’est cette indépendance qui pourrait être remise en cause.