L’ONU et la guerre : la diplomatie en kaki
Petit livre, mais auteurs experts : quatre chercheurs de renom passent au crible de leur compétence quatre des missions de l’ONU, en Namibie (Ingold Diener), au Cambodge (Raoul M. Jennar), en Somalie (Roland Marchai), en ex-Yougoslavie (Pierre Hassner), Marie-Claude Smouts introduit le débat, que Ghassan Salamé conclut.
Marie-Claude Smouts rappelle que la fin de la guerre froide fut pour l’ONU comme une seconde naissance. L’Organisation avait mené treize interventions en quarante ans, jusqu’en 1988 ; elle en a entrepris vingt depuis, soit en sept ans ; mais, sauf en Namibie, les espoirs ont été déçus. Maintenir un armistice entre deux États belligérants, mission « traditionnelle » de l’ONU, est une chose, intervenir dans des conflits intra-étatiques, comme le fait l’ONU nouvelle, en est une autre.
Ainsi au Cambodge, des six objectifs fixés par les accords de Paris du 23 octobre 1991, un seul fut atteint. Les élections ont eu lieu librement, 89,56 % des électeurs ont voté, incontestable réussite administrative et militaire. Aucun des autres objectifs, démilitarisation, respect des droits de l’homme, relèvement du pays, réintégration des réfugiés, intégrité du territoire, ne fut réalisé, pour cause des Khmers rouges. C’était à prévoir : faire fond sur la bonne volonté des partisans de Pol Pot était un pari stupide.
En Somalie, dès les années 1970 s’était établie une véritable « culture de l’aide et de l’extorsion », sous l’autorité très localisée de Siyad Barre. Celui-ci parti, la guerre civile s’instaure en 1991. Boutros Boutros-Ghali, nouveau secrétaire général, indigné de la priorité donnée à l’ex-Yougoslavie, « guerre de riches », pousse à l’intervention. Il sera écouté, mais on ne réussira pas mieux chez les pauvres que chez les riches. Les efforts intelligents du négociateur Mohammed Sahnoun tôt interrompus par le secrétaire général, qui ne l’aime point, c’est le grand show américain de décembre 1992, qui permet à l’aide alimentaire de produire ses effets, mais rien de plus : les Américains se refusent à désarmer les factions… et s’en vont. Ils reviendront pourtant avec leurs rangers mener la chasse à Aydid, se feront tuer dix-huit hommes… et s’en iront, définitivement à ce qu’il semble. Depuis lors, les luttes de factions continuent de plus belle, sous le regard des Casques bleus de l’ONUSOM II et les menaces répétées de Boutros-Ghali : « Arrêtez, ou l’on vous abandonne à votre sort ! » Si, au Cambodge, la stratégie de l’ONU était inapplicable, en Somalie, il n’y eut pas de stratégie.
En ex-Yougoslavie, Pierre Hassner distingue fort bien les missions des FORPRONI I (cessez-le-feu en Croatie), II (humanitaire foisonnant en Bosnie) et III (prévention en Macédoine). Il relève l’expérience intéressante de la collaboration de l’ONU et des organisations régionales, CEE (puis Union européenne) et Otan. Après tant d’autres, Pierre Hassner regrette le flou des missions, mais pour lui c’est le tout (imposition de la paix) ou rien (abstention). Les solutions moyennes, que l’on met en œuvre, ne sauraient que favoriser l’une des parties et soulager les souffrances… pour mieux les prolonger.
Ghassan Salamé conclut, avec la vigueur caustique qu’on lui connaît. L’ONU n’est que couverture commode pour les gouvernements. Simple option pour les États-Unis, l’intervention sous bannière internationale correspond aux intérêts des puissances moyennes, France ou Grande-Bretagne, qui n’ont plus les moyens propres de leurs ambitions mondiales. Aussi Salamé termine-t-il sur ce très pessimiste constat : « Fille des États, l’ONU est le symptôme emblématique de leur inquiétante maladie ». Empruntons donc à Raoul Jennar une conclusion plus bienveillante : « Un monde avec l’ONU est sans nul doute préférable à un monde sans l’ONU ». ♦