Le Cambodge de Sihanouk – Espoir, désillusions et amertumes
La parfaite connaissance du Sud-Est asiatique et la remarquable pénétration d’esprit de l’auteur le conduisent à s’interroger une fois de plus : le Cambodge sera-t-il la dernière victime de son roi, ce « prince à épisodes et éternels rebondissements » ? Plus de dix ans d’hésitations, d’alliances sans cesse nouées et rompues de conflits et de promesses, loin de ramener la paix ont institutionnalisé un désordre politique, économique et social, source de toutes les convoitises, que l’habileté déclinante de Sihanouk n’est plus en mesure de maîtriser.
Malgré l’accord historique des trois résistances contre l’oppression vietnamienne à Kuala Lumpur en juin 1982, la coalition reste fragile. Le « gouvernement de réconciliation » à quatre composantes n’est qu’un leurre entretenu par les discussions nébuleuses et embarrassées de Fère-en-Tardenois. En réalité, au prix des pires acrobaties politiques, le roi du Cambodge veut laver la honte de sa destitution en 1970 et n’aura de cesse de rentrer à Phnom Penh pour n’y parvenir que le 14 novembre 1992. Pour cela, Hun Sen, le « Quisling » des Vietnamiens, le nationaliste Son Sann et même les Khmers rouges deviennent fréquentables.
La « troisième guerre d’Indochine » est une guerre de tutelles où les influences russe, chinoise, américaine et plus récemment française s’affrontent. La Chine refuse la vietnamisation sous pavillon soviétique, les États-Unis refusent toutes les factions communistes notamment les Khmers rouges, la France « perdue dans ses souvenirs ouvre des crédits » et se heurte à une hostilité australo-américaine radicale. L’ONU, après avoir dû, toute honte bue, absoudre les Khmers rouges, s’engage massivement en 1991 dans le « bourbier cambodgien ». Plus de 20 000 hommes seront rassemblés sous la bannière de l’Apronuc tenue par un pur produit de l’Organisation, M. Yasushi Akashi. Que d’échecs dans ses efforts de paix ! le déploiement des forces de l’ONU et tout désarmement sont refusés par les Khmers rouges. Le changement de général français adjoint du commandant militaire australien n’apporte aucune solution. L’acheminement de l’aide économique donne un spectacle scandaleux aux yeux du monde entier. Sihanouk, sentant le système onusien vaciller, place les membres de sa famille aux postes dits de commande. L’offensive générale des Khmers rouges que craignait l’auteur après le départ de l’Apronuc à l’automne 1993 n’a heureusement pas eu lieu mais l’anarchie s’organise. Sihanouk affaibli laisse la voie au parti communiste en nommant Chea Sim vice-roi ; mais y aura-t-il un prochain roi, et les Khmers rouges le permettront-ils ?
La conclusion d’une telle étude prise sur le vif et en même temps porteuse de réflexion, est qualifiée à juste titre de momentanée. Rien en effet n’est définitif. Le testament politique de Sihanouk sera-t-il entendu ou balayé ? Nous pouvons compter sur l’intention politique et le talent de l’auteur pour continuer à nous instruire sur l’évolution de ce malheureux Cambodge. ♦