L’arme économique dans les relations internationales
« Forme médiane et souple de pression, entre les protestations diplomatiques, nécessairement limitées, et l’action militaire, toujours périlleuse », tout est dit ou presque en cette heureuse formule qui ouvre ce petit livre, clair, enlevé et vite lu malgré sa densité.
Un premier chapitre théorique, qui n’est pas inutile, précise les notions d’embargo, de boycott, de blocus… et insiste sur le « linkage », ce lien entre les mesures adoptées parmi un large éventail de sanctions ou d’avantages économiques ou financiers et les buts poursuivis, négativement (c’est le « bâton ») ou positivement (c’est la « carotte »). L’ouvrage traite ensuite de l’utilisation de l’arme économique dans les relations Est-Ouest et Nord-Sud, avant de considérer deux applications, le Golfe et l’ex-Yougoslavie, exemples déjà classiques mais inachevés dans la mesure où les conclusions définitives ne pourront être tirées qu’en fin d’action, à une date volontairement laissée en blanc. La conclusion est très nuancée, d’une prudence qui contraste un peu avec la vigueur du reste du texte ; l’auteur y prédit un bel avenir à ce « barreau irremplaçable dans l’échelle de la dissuasion », mais invite à évaluer des ratios avant de se lancer et à ne pas négliger le facteur temps.
La traduction institutionnelle par excellence est évidemment le CoCom (Coordinating Committee for Multilateral Export Controls) qui a permis une manœuvre de robinets digne du certificat d’études d’antan. L’efficacité de l’arme dépend de la solidarité (souvent fragile) entre alliés, comme s’en rendit compte l’Empereur dans le maniement du blocus continental, et surtout du rapport des forces. Ne joue pas de l’arme économique qui veut : de nos jours, elle est essentiellement un instrument de politique étrangère entre les mains du président et du Congrès des États-Unis. Disposant de ce moyen de chantage, l’Oncle Sam, professeur de morale, ouvre ou ferme les vannes, accorde ou refuse la « CNPF » (rien à voir avec le patronat français), distribue ou retient les dollars, comme il donnerait des notes de conduite ou mettrait au piquet.
L’emploi de l’arme économique demande des vues stratégiques et notamment des objectifs nettement définis, ce qui fut rarement le cas ; il exige aussi une « conduite » de nature tactique, un dosage, une progressivité, une analyse des facteurs évitant de surestimer ou sous-estimer la capacité d’encaissement de l’adversaire. Il faut enfin prendre en compte les effets de boomerang, bien connus des fermiers américains lorsque la vertu leur fait perdre des débouchés.Vis-à-vis de l’Irak, la question est de savoir si la guerre n’avait pas été décidée d’emblée et si les sanctions n’ont pas servi uniquement d’habillage, comme semble le soupçonner l’auteur qui, vis-à-vis de la Serbie, note de la part des Occidentaux et des multiples cénacles européens, anarchie et surenchère sous l’œil goguenard des États frontaliers. Le jugement est coupant : « L’alternative n’est plus qu’entre un démantèlement par usure et une intervention militaire, c’est-à-dire l’adoption d’une position située soit en deçà, soit au-delà de l’arme économique ». Le « Que sais-je ? » n° 2811 est de bonne cuvée. ♦