Le temps de la paix
Le document de Shimon Peres constitue un « livre événement » pour deux raisons. D’une part, il survient au lendemain de l’accord historique entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et au moment où une dynamique de négociations est en train de modifier les données géopolitiques de cette zone particulièrement troublée. D’autre part, il analyse la vision qu’a le ministre israélien des Affaires étrangères d’un nouveau Proche-Orient (1) basé sur l’établissement d’un vaste système régional qui devrait permettre la création d’une entité prospère. L’auteur propose des solutions hardies, mais réalistes, dans les domaines politique et économique.
Politiquement, cette personnalité marquante de l’histoire de l’État hébreu se fait l’apôtre d’une confédération jordano-palestinienne (principe pour le moment refusé par le roi Hussein). Cette structure, qui paraît la mieux adaptée aux possibilités de la région, devra inclure une frontière sûre avec Israël et une certaine profondeur stratégique dont ce dernier a absolument besoin pour garantir sa survie.
Dans un deuxième volet, Shimon Pères souligne la nécessité de passer d’une économie de guerre à une économie de paix. Cette attitude devrait aboutir à la mise en place d’une sorte de « Benelux jordano-israélo-palestinien ». Sur ce chapitre, les idées foisonnent. Pour les peuples du Proche-Orient de demain, l’ennemi c’est le désert. Les chercheurs doivent donc concentrer leurs efforts sur des techniques précises pour combattre ce fléau. L’utilisation de la génétique afin de produire des quantités supérieures de plantes et d’animaux ainsi que la mise en commun de nouvelles technologies agricoles (les études israéliennes sont particulièrement avancées dans ce secteur) devraient « colorer la région de vert », donc offrir à ses habitants une nourriture suffisante.
Le délicat problème de l’eau est examiné avec soin. Le ministre israélien s’appuie sur un projet hydrologique qui est étudié depuis plusieurs années par certains experts : l’eau de la Turquie serait acheminée dans des citernes « Méduse » vers un port qui reste à construire dans la bande de Gaza. À partir de là, elle serait amenée par pipeline en Jordanie, en Arabie saoudite et dans le Néguev en Israël. Ce programme ambitieux vient en complément du projet de canal devant joindre la mer Rouge à la mer Morte. Dans le domaine des communications, l’auteur suggère de prolonger les voies ferrées construites par les Britanniques et surtout de réunifier les deux ports voisins d’Eilat (en Israël) et d’Akaba (en Jordanie).
C’est toutefois le secteur du tourisme qui possède le plus grand potentiel en raison de l’extraordinaire richesse historique et archéologique des terres de la région. La constitution d’une société internationale pour « vendre » en Amérique du Nord, en Europe et en Extrême-Orient des voyages et des séjours à destination de plusieurs pays du Proche-Orient (Égypte, Israël, Jordanie, Liban et Syrie) est hautement souhaitable.
On le voit, de tels projets audacieux nécessitent des investissements importants. Les fonds ne viendront en masse que si la paix réussit à s’installer durablement dans cette contrée déchirée par tant de haines. Tous les pays de la région ont intérêt à cette évolution qui ouvrirait de nouveaux débouchés aux entreprises des États industrialisés. C’est le vœu que forme Shimon Peres dans son œuvre particulièrement documentée. Quelle que soit la part du rêve, il faut bien admettre que cet ouvrage étonnant, rédigé par celui que beaucoup de spécialistes appellent « le grand messager du Proche-Orient », constitue le signe précurseur des bouleversements politico-économiques qui pourraient affecter ce point chaud du globe. Le chemin vers la paix totale est encore long et semé d’obstacles, mais les progrès enregistrés à la fin de 1993 dans le difficile processus de négociations (impensables il y a seulement quelques mois) laissent apparaître une lueur d’espoir. Dans cette affaire, les États-Unis pourraient continuer à jouer un rôle important de médiateur. ♦
(1) NDLR : Les Anglo-Saxons utilisent le terme Middle East, dont le correspondant en français est Proche-Orient : le premier n’existe pas dans notre géographie, le second est inconnu en anglais.