La planète balkanisée
Notre plaisir de lire la nouvelle édition 1993 de l’ouvrage de M. Yves-Marie Laulan est hélas tempéré par la justesse du pessimisme que l’auteur laissait percer dans les conclusions de son édition de 1991. Que d’événements, que de bouleversements, mais aussi que d’incertitudes dans ces deux dernières années qui requièrent un nouveau tour du monde. L’effritement du deuxième gendarme mondial, le soviétique, est l’exemple même, aux sens propre et figuré, du processus de balkanisation. Autour de ces Balkans en feu, l’Europe de l’Est balance entre le chaos et la renaissance, et l’autre Europe hésite, à l’image des soubresauts de la Berd (Banque européenne pour la reconstruction et le développement), entre plusieurs thérapies. Une reprise économique y serait un ballon d’oxygène bien délicat à manier entre les néo-communistes et la poudrière yougoslave. « La république dévore ses enfants » et la Russie émerge difficilement des ruines militaires, économiques, politiques et diplomatiques laissées par l’empire rouge.
Alors que dire du géant américain ? Après les doutes soulevés par ses tentatives d’intervention dite humanitaire, la tentation du repli se précise aux États-Unis avec les accords interaméricains et la pression sur l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Cette libération des échanges est un enjeu, mais en même temps une forme de discorde, non seulement entre les continents mais au sein même de l’Europe où le rôle joué par la « nouvelle Allemagne » n’est pas toujours bien défini.
À l’autre bout du monde, l’« éveil » économique de la Chine est maintenant plus qu’un « mot » de M. Peyrefitte et vient ajouter aux turbulences engendrées autour du Pacifique, dont le Japon n’est pas le seul responsable. C’est dire que l’économie se mondialise avec un nouvel élément difficile à digérer mais prometteur : l’intégration de l’immense et désolant système économique marxiste ; elle doit aussi compter avec ses deux boulets de l’islam réducteur et de l’Afrique incurable. Face au Tiers-Monde totalement balkanisé et partant d’un principe longuement observé, mais bien peu exprimé, selon lequel le « développement » est à la portée de tous et la déchéance des peuples n’est que de leur propre responsabilité, M. Laulan a le courage, en toute lucidité, de proposer quelques directions d’effort sans beaucoup d’illusions d’ailleurs. En effet les conseils de son édition précédente n’ont guère été écoutés.
Civilisation en sursis, n’avons-nous plus, au moment de disparaître, que le choix entre l’effacement de Rome ou les sursauts de Byzance ? Et s’il ne restait que le gouffre du Camp des saints imaginé par M. Raspail, la clairvoyance de M. Laulan saurait encore nous prévenir. ♦