Substituant au feu massif et aveugle des coups précis, les « smart bombs » – comme on les a nommées lorsqu'elles ont fait leur apparition sur le champ de bataille du Vietnam – sont en train de révolutionner l'art militaire. On commence seulement à en saisir toutes les implications sur le plan des concepts opérationnels, de la structure des forces, de leur logistique et de leur instruction. Mais plus importante encore est la question : quelle place doivent-elles prendre dans la panoplie allant de l'armement classique au nucléaire et quel rôle vont-elles jouer dans la dissuasion ? Favorisant la défensive au niveau tactique, n'introduiront-elles pas une dangereuse déstabilisation au niveau stratégique ? L'étude de l'auteur, collaborateur du Centre d’études de politique étrangère, montre combien cette percée technologique des armements favorise les visées stratégiques et industrielles des États-Unis. Il s’agit là d’un article destiné à provoquer la réflexion. Les opinions et affirmations de l’auteur n’engagent en aucune façon le commandement français.
Les nouvelles armes guidées avec précision et leurs conséquences militaires et politiques
Depuis un an environ, des signes nous parviennent d’Outre-Atlantique tendant à accréditer l’idée qu’une nouvelle révolution se prépare dans le domaine des armements. « Une de plus ! » dira-t-on sans y croire vraiment. Et pourtant qu’on se rappelle cette autre innovation américaine aussi « révolutionnaire » que fut la miniaturisation des charges atomiques qui aboutit à la mise en place des armes nucléaires dites « tactiques » en Europe, il y a vingt ans. À l’époque, les états-majors n’avaient pas cru devoir changer leurs doctrines et en tirer les conséquences sur la structure et l’équipement de leurs forces. On s’était contenté alors d’ajouter ces nouvelles armes aux arsenaux existants et l’on n’a d’ailleurs pas fini d’épiloguer sur la meilleure façon de s’en servir.
Il ne faut donc pas s’étonner que devant le flot de littérature plus ou moins ésotérique provenant presque exclusivement de sources américaines qui déferle sur nous (1), nous demeurions quelque peu sceptiques, et que nous accueillions avec quelque réserve les experts de la fameuse Rand Corporation de Californie, les « consultants » de Washington et d’autres hauts-lieux de la pensée militaire des États-Unis qui multiplient en Europe occidentale les conférences et les tables-rondes pour nous vanter les mérites de ces nouvelles techniques de guidage des projectiles qu’on désigne sous le nom barbare de « PGM » (Precision Guided Munitions).
De quoi s’agit-il ? De l’introduction, pour les années à venir, dans les forces armées de l’Alliance Atlantique (et dans celles des pays du Moyen-Orient) — et sans doute les pays du Pacte de Varsovie ne tarderont-ils pas à faire de même — d’un nombre très varié de systèmes et de procédés censés avoir une efficacité jamais atteinte jusqu’ici dans le domaine des armements conventionnels. Le terme de « munitions » indique déjà que ces innovations ne concernent pas seulement des vecteurs et des armes, mais qu’elles peuvent s’appliquer à toutes sortes de projectiles. Le développement des nouveaux systèmes de guidage ne représente d’ailleurs qu’un aspect — et peut-être même pas le plus important — de toute une série de « percées technologiques » réalisées aux États-Unis, dans les domaines de l’électronique, des matériaux nouveaux, des propulseurs, etc. Nous y reviendrons après avoir essayé de décrire la philosophie générale qui est à la base de cette nouvelle « technologie » militaire. Nous prenons ici le terme de technologie au sens anglo-saxon, c’est-à-dire l’application pratique des découvertes scientifiques que le français désigne plus simplement sous le nom de « technique ».
Il reste 94 % de l'article à lire
Plan de l'article