Des marins dans la tourmente
On assure dans les popotes que les marins sont de fortes personnalités, de fins observateurs, souvent des écrivains de talent et parfois d’honorables cavaliers. À toutes ces qualités, le capitaine de corvette (er) du Moulin de Labarthète ajoute un humour souvent féroce pour témoigner de la participation de la Marine française à la Seconde Guerre mondiale, mais aussi une grande générosité puisqu’il a attribué ses droits d’auteur aux œuvres de la marine.
Pendant ce conflit mondial, la tourmente soufflant sur les marins français est venue d’horizons bien inattendus, et c’est tout l’intérêt des témoignages apportés par ce jeune enseigne de vaisseau admis à l’École navale en 1939 et qui quittera la Marine en 1954. Dans une France occupée aux deux tiers, affecté à Toulon au cabinet d’un amiral d’une Marine immobilisée faute de carburant mais vivant dans le souvenir précis de l’amputation de ses forces à Mers el-Kébir par les Anglais, il se porte volontaire pour la première mission extérieure qui se présente. Elle ne manque pas de mystère ni d’imprévu : deux changements de baptême du bateau, équipement clandestin d’armement, louvoiement entre les obstacles dressés par l’Union Jack sur toutes les mers, depuis Gibraltar jusqu’à Djibouti par le grand tour de l’Afrique. Puis la tourmente anglaise s’abat sur Madagascar et l’auteur blessé en résistant au débarquement, soigné en Afrique du Sud, est ramené puis interné en Grande-Bretagne en 1942 : « matricule X 818 », le X étant normalement réservé aux Allemands et le Y aux Italiens.
Mais le Reich occupe la France entière et le sabordage de notre flotte de haute mer à Toulon devient un gage de loyauté pour la Grande-Bretagne qui consent à rendre les marins français détenus sur ses « pontons ». Le lieutenant de vaisseau de Labarthète peut enfin, en février 1943, prendre part aux combats à titre d’« allié » ; il escortera des convois dans l’Atlantique, faisant ainsi connaissance avec l’Amérique puis avec les torpilles allemandes qui mettront fin à la carrière de son bateau, le ravitailleur Le Lot, mais non à la dignité de son camarade de promotion, le lieutenant de vaisseau Braud, recueilli nageant en pleine mer avec sa casquette sur la tête. Mais le vent politique intérieur souffle plus violemment que jamais à Alger : luttes pour le pouvoir, « notamment entre les généraux Giraud et de Gaulle », débauchage des militaires, propagande échevelée et, bien sûr, épurations. À signaler toutefois une inversion dans le renvoi 3 (page 92) concernant le rétablissement du décret Crémieux par Giraud : ce décret instaurait non pas l’égalité civique entre juifs et musulmans, mais une inégalité aux dépens des musulmans. L’auteur observe ce microcosme algérois où les communistes se refont des virginités patriotiques au nom de la « Résistance », où évoluent de curieuses personnalités comme l’amiral Muselier, premier rallié à de Gaulle et premier à le quitter après lui avoir inventé la « Croix de Lorraine ».
Pour revenir au vrai métier de marin et aux vrais objectifs de la guerre, embarquement sur le torpilleur Le Basque, qui va participer au débarquement de troupes françaises à Ajaccio dans le cadre de l’opération Vésuve, conçue et conduite par le général Giraud pour libérer la Corse. La Méditerranée n’est pas encore « mare nostrum », les U-Boote maintiennent une réelle menace. La Luftwaffe essaye de nouvelles bombes que l’on qualifierait aujourd’hui d’intelligentes, et dont le commandement français, toujours imaginatif, conseille de brouiller le téléguidage au moyen d’un rasoir électrique toujours prêt à la passerelle. De retour dans l’Atlantique, Le Basque assiste à la réduction de la « poche de Royan » pour essuyer le 7 mai 1945, veille de la capitulation allemande, les derniers tirs du « mur », depuis ses ouvrages de l’île de Ré.
La « tourmente » pour les marins semble enfin s’apaiser et le lieutenant de vaisseau du Moulin de Labarthète ne veut pas nous en dire plus, sinon quelques annexes intéressantes notamment celle qui concerne la mission diplomatique du professeur Rougier.
Ouvrage intéressant qui apporte quelques précisions sur cette période qui fut pour beaucoup difficile à vivre. ♦