L’innocence perdue (A bright shining lie)
Présenté par les médias comme l’ouvrage le plus documenté (émission « Apostrophes »), le livre « définitif » sur la guerre du Vietnam, ce « pavé » de 659 pages relate la guerre américaine de 1962 à 1972, à travers les aventures de John Vann, officier américain à la personnalité riche et discutable, reconverti dans l’assistance technique. Les relations de ce personnage avec les Vietnamiens, les journalistes et les généraux américains constituent la trame de ce récit.
Après une enfance déshéritée dans un milieu peu reluisant, John Vann trouve dans l’armée le cadre d’honorabilité qui lui permet de satisfaire ses ambitions. Distingué de ses chefs pour sa conduite courageuse en Corée, il exerce les fonctions de conseiller dans une division vietnamienne, et s’efforce de convertir à ses vues les officiers de cette armée. Son goût des humbles le fait se pencher sur les paysans du delta et adopter des méthodes de pacification non conventionnelles. Vaniteux et complexé, il rejette les directives de ses chefs et communique à la presse des informations partiellement vraies, mais très différentes de la version officielle des faits. Son indiscipline, sa témérité et ses indiscrétions le muent en vedette des médias.
Barré dans son avancement pour une affaire de mœurs, il quitte l’armée et obtient, grâce à des appuis dans l’Administration de Washington, une affectation dans l’assistance civile, avec un titre d’équivalence de général. Ce grade et son expérience de la pacification lui assurent la prédominance sur ses collègues et subordonnés. Un fatal accident d’hélicoptère met fin à sa carrière et lui évite d’assister à la faillite de ses illusions et de ses théories. Au cours d’une cérémonie à la Maison-Blanche, le président Nixon prononce son éloge et lui décerne la médaille présidentielle de la liberté.
Journaliste américain qui avait la confiance de John Vann, Neil Sheenan présente une histoire de la guerre du Vietnam qui ne convaincra pas ceux qui ont vécu ce conflit ou l’ont observé sur le terrain. Les dates et les événements sont bien restitués, mais leur interprétation est discutable. Outre son ignorance de la guerre française et son mépris pour notre « colonialisme », il témoigne d’une bienveillance certaine envers les thèses du Vietminh. C’est ainsi qu’il admet l’indépendance du Front national Sud vis-à-vis de la direction du Parti communiste nord-vietnamien, nie l’influence de Hanoï sur l’agitation bouddhiste, et partage l’aversion de Cabot Lodge envers les catholiques (qui conduit à l’élimination de Diem). Généralisant la corruption et la lâcheté des troupes sudistes, sans jamais évoquer les excès du Nord-Vietnam et de sa nomenklatura, il fait le silence sur les tortures et les massacres perpétrés par les communistes.
L’évolution du Vietnam depuis la fin de la guerre ne semble pas lui avoir ouvert les yeux sur la véritable nature du régime.
« Un éclatant mensonge », le titre anglais de l’ouvrage, s’applique parfaitement à la présentation des faits par Neil Sheenan. De tels journalistes ont davantage contribué à l’affolement de l’opinion américaine, à la démoralisation des troupes et à l’échec des États-Unis, que les erreurs de généraux. Ce n’est pas avec un tel livre que les Américains comprendront un jour ce qu’ils n’ont jamais compris : le Vietnam et les Vietnamiens ! ♦