Les trois cavaliers de Langson
Par l’effet d’un curieux tropisme alors que les boat people fuient en masse le Vietnam, Henry Noullet sans cesse y revient. Son dernier roman permet de retrouver sa plume légère, ses formules cursives et son sens de la description cocasse correspondant bien au climat de cette campagne d’Indochine « qui mêlait si intimement le burlesque et le tragique ». Les trouvailles abondent, depuis les « camionnettes britanniques, haut perchées et camuses comme des bouledogues » jusqu’aux « créatures dorées et pneumatiques sirotant des punchs incendiaires ». Et le lecteur de plonger dans la guerre des capitaines, fragiles seigneurs des rizières et des « calcaires ».
Trois officiers bien typés, une infirmière, un cadre géographique et historique fournissent, après un prologue relativement long, une unité de lieu, de temps et d’action : Langson, deux syllabes qui sonnent assez mal depuis plus de cent ans aux oreilles françaises ; l’année 1946, sous le régime précaire du « modus vivendi », encore pleine des traces du coup de force japonais et de l’occupation anglo-chinoise ; une pacification, menée avec de pauvres moyens dans un terrain difficile et entravée par le harcèlement des « bodoï » jusqu’au déclenchement de l’insurrection.
La trame de l’histoire reflète l’authenticité que seul peut garantir un acteur (et non quelque reporter de passage) ; les épisodes sortent de l’imagination du romancier : le rendez-vous fortuit de la jeune épouse avec la « grande caisse oblongue, peinte en vert sombre » contenant le corps de son mari est un peu dur à avaler ; le coup de fusil providentiel de Rouzic depuis la fenêtre d’un grenier sent le « western » et la tournée à Long Tchéou des « faux époux » Ebrard lancés à la poursuite de Gwendoline est franchement rocambolesque. Plutôt que par les chinoiseries à la Fu Manchu de Philippe ou par les minauderies de Fabienne, nous avons été séduits par la vie quotidienne du peloton Ferlac, et n’est-ce pas ce que souhaite l’auteur quand il dédie son livre « aux équipages de Sirocco et de Simoun » ? Ils sont passionnants, ces gamins incultes et gouailleurs, juchés sur leurs automitrailleuses sans freins, « conjurant les maléfices en déconnant » et prêts à se transformer en héros bien loin d’une mère patrie qui s’intéresse à leurs aventures au même niveau qu’à la vie sur la planète Mars. Au fait, comme un tel ouvrage ne peut que comporter une part importante d’autobiographie, à qui assimiler Noullet entre l’ancien chevronné, le Breton raté et ivrogne et le prévoyant sous-lieutenant de caractère toujours poussé par le goût de l’exploit ? Au dernier, bien sûr.
C’est sans doute pour cela qu’emporté par son personnage, habitué à expliquer la marche du monde à ses chasseurs illettrés et à des partisans moyenâgeux, Ferlac-Noullet (à moins que ce soit son éditeur ?) se sent une âme de pédagogue. Telle est sans doute l’origine des renvois dont est gratifié le lecteur. « Tai Siou », « Mai Koué Lo », « Be Con », admettons, mais la définition de la bombarde bretonne, la traduction de « nihil obstat » ou les références au sac de Béziers pourraient être épargnées au genre de « population » qui se procurera ce livre. En une seule occasion, qui eût peut-être justifié un décryptement, ledit lecteur est supposé tout connaître du combat des « Trente ». Il est tenté de se venger – à l’image des municipalités qui contribuent à l’éducation des foules (rue Napoléon-Empereur-1769-1821) – par la précision suivante : « Noullet Henry * : * excellent écrivain de la fin du XXe siècle, spécialisé dans le récit des combats obscurs, glorieux et malheureux qui se terminèrent dans une cuvette dont tout le monde connaît le nom sans qu’il soit besoin d’astérisque ». ♦