L’armée et la Révolution
Continuité ou rupture ? Tout en se désintégrant, l’armée royale a transmis à l’armée de la Révolution un certain nombre d’atouts qui allaient contribuer à ses victoires ; en contrepartie, il a fallu la Révolution pour que se réalise cette régénération de l’armée que le comte de Guibert appelait de ses vœux en 1787. Telles sont en somme les deux conclusions d’un ouvrage aussi remarquable par la logique de la démarche et la densité des analyses que par la passion communicative de son auteur. Comme Émile Léonard et André Corvisier, le général Deschard est convaincu que l’esprit militaire était très vivant dans la population, ce qui étonnait quelque peu les voyageurs anglais.
Dans cette perspective, l’« humiliation » de l’armée pendant la guerre de Sept Ans a été peut-être plus gravement ressentie que le bouleversement de ses structures de 1789 à 1791. C’est en effet à partir de 1763 qu’a été entreprise une réorganisation de l’armée, dont le bilan apparaît ici globalement positif. Après avoir soutenu une excellente thèse sur les bas-officiers de l’armée royale dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’auteur était particulièrement qualifié pour mettre en évidence l’émergence des cadres subalternes, ces adjudants, ces fourriers, ces sergents, en qui s’est incarné l’esprit de corps au travers de toutes les vicissitudes politiques : même ceux qui regrettaient l’ancien ordre des choses n’ont pas émigré. On lira aussi avec beaucoup d’intérêt le chapitre consacré aux gentilshommes servant dans la troupe car il s’avère que, si les militaires sont en général revalorisés dans la littérature et dans l’opinion à partir de 1765, les représentations sociales se figent à tel point qu’on ne tolère plus de voir des nobles porter le fusil.
C’est en fin de compte vers le haut de la hiérarchie militaire, et peut-être encore plus à Versailles, qu’il faut situer la responsabilité de la non-intervention des troupes au moment crucial, en juin et juillet 1789. Comme l’a écrit Keralio, « l’esprit de discipline n’abandonne le soldat que lorsque ses officiers lui en ont donné l’exemple ». Le général Deschard a bien distingué deux étapes trop souvent confondues dans la désagrégation de l’armée royale, avant et après le 14 juillet. Son étude pénétrante confirme et nuance sur quelques points celle de Samuel Scott. L’évolution, ponctuée par les réquisitions continuelles des troupes, est inéluctable : l’armée a de plus en plus répugné à assurer le maintien de l’ordre. L’Assemblée constituante accélère sans doute le processus, sans le vouloir, en autorisant les délégués des soldats à participer à la vérification des caisses régimentaires et en créant le 6 août 1790 des conseils d’administration paritaires qui recevront les plaintes des hommes de troupe. Il est devenu indispensable de créer des bataillons de volontaires nationaux quand les patriotes n’ont plus toléré l’expression des « sentiments aristocratiques » dans l’armée. ♦