Un an après la mort du général Beaufre, l'auteur qui l'a bien connu, revient sur son parcours et sa carrière ainsi que sur le cheminement intellectuel.
Des doctrines de guerre à une vision de l'existence : l'itinéraire d'André Beaufre
Il y a un an environ (13 février 1975) mourait le général Beaufre. Il avait été l’un des rénovateurs de la pensée militaire française. Et à un moment où l’on s’interroge avec acuité et controverses sur la finalité et les fonctions de la défense nationale, sur le désintérêt au moins apparent qui l’affecte dans l’opinion alors que le territoire ne semble pas menacé mais que les valeurs morales et les structures sociales classiques sont soumises à rude critique et que le reflux de sa puissance et les dénonciations externes et internes dont il est l’objet font haïr l’Occident par une partie de lui-même (mais quelle partie représente le véritable message de l’Occident ?), il ne serait peut-être pas inopportun de décanter les raisons qui ont incité le général André Beaufre à tenter cette rénovation et qui l’ont inspirée. Aussi, plutôt que le contenu des doctrines toujours marquées par le temps, on s’efforcera ici de cerner les corrélations intervenues entre les expériences vécues, les démarches intellectuelles et les mobiles civiques.
Lycéen de la victoire, André Beaufre, le 11 novembre 1918, acclame Clemenceau dans la cour du ministère de la Guerre. Saint-Cyrien convaincu, contre la grisaille des garnisons métropolitaines et contre les armes plus éloignées du combat réel, il choisit l’armée d’Afrique et l’infanterie. Du Rif où, blessé, il frôle la mort, à l’Indochine, en passant par la Tunisie, l’Italie, l’Alsace et l’Allemagne, de lieutenant (1924) à colonel (1946), il se bat chez les tirailleurs. Mais il vivifie ces combats par des ouvertures intellectuelles (le cours d’histoire du capitaine de Gaulle à Saint-Cyr, les conférences de l’École de guerre et des Sciences politiques en 1930-1932) et des fonctions d’état-major. Membre de la mission Doumenc qui sera évincée à Moscou par l’accord germano-soviétique de 1939, il observe ensuite la « drôle de guerre » au grand quartier général et juge Gamelin ; affecté au cabinet du commandant en chef en Afrique du Nord (Weygand) après la défaite, il n’accepte pas la résistance purement passive et participe à l’organisation du débarquement allié de 1942 en Afrique du Nord, ce qui lui vaut un temps de prison en France dont il s’évade avec le général Giraud qu’il accompagne dans sa mission de réarmement aux États-Unis et au Canada (1943) ; il observe déjà le curieux mélange américain d’idéalisme moralisateur et de tortueuse politique. En Indochine enfin, il est l’un des « maréchaux » de de Lattre.
Brigadier, André Beaufre aborde alors les grands commandements à la guerre (Kabylie, Est-Constantinois puis, en 1956, force d’intervention terrestre à Suez) et dans les états-majors atlantiques : directeur du groupe d’études tactiques de Centre Europe en 1952, adjoint au général commandant en chef les forces françaises en Allemagne en 1957, chef d’état-major adjoint au SHAPE en 1958. En 1960, général d’armée, il est chef de la Délégation française au Groupe permanent de l’Atlantique Nord siégeant au Pentagone : le cerveau de l’OTAN.
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