Bigeard
On ne présente plus Bigeard, qui s’est d’ailleurs excellemment présenté lui-même à la recherche d’une parcelle de gloire. Le terme de parcelle est modeste ; « Bruno » est une gloire nationale. Aussi le gros livre d’Erwan Bergot – qui évolue ici dans son domaine de prédilection, la grande geste des « baroudeurs » d’élite – n’apporte-t-il pas de révélations, mais le rappel détaillé et précis de la carrière exceptionnellement dense d’un authentique héros.
Épinal n’est pas loin de Toul : l’origine modeste, la vigilance de la terrible Sophie, l’idylle avec l’amie d’enfance… Après ce départ édifiant, quel rythme ! Gardant ou reprenant l’initiative. Bigeard modèle l’événement, depuis la drôle de guerre qu’il jalonne à son échelon de brillants épisodes dans les corps francs, jusqu’à la campagne électorale de 1978 entreprise quinze jours avant l’échéance. Entre les deux, une série de hauts faits d’où se détachent l’évasion, la libération de l’Ariège, les séjours en Indochine, les batailles d’Alger, Timimoun… Autant de réussites éclatantes, autant de preuves d’un rare faisceau de qualités : courage physique, connaissance des hommes et de leurs ressorts psychologiques, sens du terrain qui fait merveille dans les situations les plus diverses. Et pour couronner le tout, l’art d’attirer la sympathie et – n’en déplaise aux adeptes de la formule « petite tête, gros pectoraux » – une vigueur intellectuelle indéniable.
Tout ne fut pas facile pour autant. L’auteur a écrit des pages fortes et honnêtes sur les casernes d’avant 1940, sur les insuffisances qui menèrent au désastre de Dien Bien Phu, sur les rivalités entre unités d’intervention, sur une certaine visite bien décevante à Saïda. Mais si Bigeard a mérité son destin (il n’a « rien obtenu qu’il n’ait âprement conquis », p. 145), il a aussi bénéficié de facilités qu’il a eu le toupet d’exiger et qu’aucun supérieur n’a osé lui refuser. Dans ces conditions, le misérabilisme ne sied guère : les chambres d’hôtel que Bigeard partage avec Gaby sont toujours « sordides », le studio de député est petit, et si l’ordinaire du Fouquet’s est bon, le service est trop lent. Comme dirait Bigeard lui-même : « Vous allez me faire pleurer ! » Dire qu’en ce mémorable 14 juillet, il se rendit à l’Opéra dans « le seul uniforme qu’il possédât » (p. 419) prête plutôt à sourire.
La légendaire retraite de Tu Le fut connue et admirée à juste titre dans tout le Tonkin. Il en fut de même en d’autres lieux des résultats foudroyants obtenus dans la Casbah. Alors pourquoi ces effets faciles, ces images éculées d’officiers d’état-major « ne quittant leurs bureaux climatisés que pour déguster des boissons fraîches à la terrasse du Continental » (p. 205) ? C’est une mesquinerie de prétendre que les citations d’un commandeur de 36 ans étaient « ressenties comme une provocation, presque une injure, par ceux qui étaient chargés d’établir les mémoires de proposition » (p. 258). Quant à affirmer que le nom de Dien Bien Phu n’évoquait plus rien en 1963 pour les stagiaires de l’École de Guerre qui appartenaient tous à des promotions ayant laissé une bonne partie de leur effectif en Indochine, c’est une méchanceté gratuite.
Donc, bravo pour Bigeard, justement honoré et qui n’a nul besoin de repoussoir. Et vous, Monsieur Bergot, un peu de pitié pour les minables ! ♦