Les mirages du pétrole
Spécialiste du droit de l’énergie, Philippe Georgel présente dans cet ouvrage les problèmes qu’a posés dans le passé et que posera dans l’avenir l’écart entre la production et la consommation de pétrole. S’appuyant sur une riche documentation, il propose une nouvelle politique énergétique pour la France et l’Europe.
La thèse de son livre est que désormais la stratégie des Nations se joue sur le théâtre économique, et que la volonté de puissance américaine s’exerce au détriment de la Communauté économique européenne (CEE) et du Japon. Ce sont les États-Unis qui auraient organisé le choc pétrolier et imposé le recours au pétrole « non Opep » (Organisation des pays exportateurs de pétrole). Désinformant leurs partenaires par le canal de l’Agence internationale de l’énergie et de la Trilatérale, ils utilisent l’arme du dollar pour assurer leur primauté sur les marchés. Il convient donc que les Européens mettent fin au libéralisme de leur politique pétrolière, et qu’ils se dégagent de l’emprise américaine en coopérant plus étroitement avec les Arabes, qui sont des partenaires fiables, et en stockant de grandes quantités d’hydrocarbures. Cette politique implique que soit réglé le problème palestinien, et que la France se dote de moyens d’intervention outremer (avions) uniquement nationaux.
Les motifs d’inquiétude pour l’avenir de la production énergétique sont réels. Mais les scénarios de consommation du rapport Frisch de 1986 ne sont pas tout à fait en ligne avec ceux présentés à la Conférence mondiale de l’énergie de 1989. Conseiller de l’EDF, Frisch présente le point de vue des représentants de l’énergie électrique ; André Giraud, pour sa part, prévoit une stagnation de la consommation à long terme. Quant au marché pétrolier, il est très perméable ; la géophysique fait des progrès impressionnants et de nouvelles réserves peuvent être découvertes à tout moment et mises en production en quelques années, comme elles l’ont été au Mexique. Décrié à la suite de Tchernobyl (accident dû à de graves déficiences technologiques), le nucléaire pourrait reprendre sa progression, car il donne une énergie primaire non polluante.
Les experts pétroliers reconnaîtront, dans la présentation des faits, les thèses exposées par Nicolas Sarkis dans les publications de l’Opep sur le déclenchement du choc pétrolier par une commission américaine presse-bouton, ainsi que sur les offres alléchantes des Saoudiens : 100 millions de tonnes de brut à 3 dollars le baril en 1968. Le recours au pétrole de la mer du Nord, dont les réserves il est vrai seront épuisées à moyen terme, a contribué à ramener les prix à un niveau compétitif, et à diversifier les approvisionnements, ce qui est un élément de sécurité. Enfin le stockage de grandes quantités de produits pétroliers exige une immobilisation irréalisable de capitaux.
Fondé sur une extrapolation hardie de faits incontestables et de prévisions changeantes, le livre de Philippe Georgel séduira les amateurs de politique-fiction. S’agissant d’une thèse, elle mérite d’être connue et ouvre un vrai débat. À une attitude dirigiste et unilatérale, les spécialistes du pétrole opposent le réalisme de la politique française, fondée sur la diversification des approvisionnements, grâce à une industrie nationale capable de prospecter et de produire du pétrole et du gaz sur le marché international, et de maîtriser les technologies nouvelles. ♦