L’Espagne. De la mort de Franco à l’Europe des Douze
Depuis une dizaine d’années, l’Espagne n’est plus l’homme malade, ou plutôt le « fantôme », de l’Europe. Au contraire, l’Espagne actuelle a, non seulement rejoint ses partenaires européens, mais aussi les a dépassés sur bien des points. Mutations sociales, politiques, institutionnelles, comment comprendre et synthétiser le changement de l’Espagne ? Le livre de Maria Goulemot Maeso est l’une des réponses possibles à cette question. Relativement court, concis et facile d’accès, il offre au lecteur une vue d’ensemble, un panorama de l’Espagne contemporaine. Maria Goulemot Maeso s’est attachée à décrire un certain nombre de problèmes ; elle a su aussi les replacer dans la durée historique.
Les changements politiques et institutionnels font l’objet des premiers chapitres. L’auteur nous rappelle avec quelle rapidité, (et quel calme !), l’Espagne est passée d’une dictature assoupie, sinon assouplie, à une démocratie moderne, et cela en l’espace de trois années (1975-1978). Cependant, ce passage n’a pas été aussi brutal qu’on peut l’imaginer et Maria Goulemot Maeso note avec juste raison que le franquisme n’était pas synonyme d’immobilisme, quelques ouvertures ayant été concédées par le régime, par exemple à propos de la liberté de la presse. Il faudrait parler, pour cette période, de « décalage » plutôt que d’immobilisme. C’est Adolfo Suarez, qui représente aujourd’hui la seule opposition crédible au gouvernement socialiste, qui sera chargé de faire passer l’Espagne du franquisme à la démocratie, de gérer la « transition démocratique ».
Maria Gouiemot Maeso présente en détail la Constitution de 1978 ainsi que son mode d’élaboration. En particulier, elle nous rappelle, ce que l’on a un peu oublié depuis, que c’est cette Constitution qui a mis fin à cinq siècles de centralisation. Depuis 1978, on assiste au mouvement inverse et certaines provinces, comme le Pays Basque ou la Catalogne, jouissent d’une très large autonomie. Autre point intéressant dans le texte constitutionnel espagnol : l’existence d’un Conseil constitutionnel. Ici, les constituants de 1978 semblent s’être inspirés de leurs voisins européens : à la France on a emprunté la forme de l’institution et l’idée d’un contrôle préventif avant promulgation des lois, à la République fédérale d’Allemagne (RFA) on a emprunté l’idée plus originale d’un recours individuel émanant directement d’un particulier lésé dans ses droits. C’est le système de l’« amparo constitucional ».
Sur le plan politique, outre le phénomène d’effondrement des partis de droite, le problème dominant est celui du Pays Basque. L’auteur y consacre un long chapitre dont l’intérêt premier est de replacer le nationalisme basque dans son déroulement historique. Cela nous permet de comprendre l’origine des revendications nationalistes et de leurs formes extrêmes.
Les derniers chapitres du livre concernent les mutations sociales de l’Espagne actuelle. L’auteur décrit les acteurs de la société (syndicats, Église, armée) avant de considérer cette société dans son ensemble.
Les syndicats espagnols présentent quelques particularités. Face à de nombreux syndicats, dont un galicien, un basque et un autre héritier de la tradition anarchiste, la Confédération nationale du travail (CNT), il existe des délégués indépendants qui représentaient 20 % des voix aux élections professionnelles de 1982. L’Union générale du travail socialiste (UGT) et les commissions ouvrières communistes demeurent néanmoins deux puissantes centrales. Maria Gouiemot Maeso signale la détérioration des relations entre le gouvernement socialiste et l’UGT. On peut ajouter que cela a débouché sur une crise ouverte : en octobre 1987, Nicolas Redondo, secrétaire général de l’UGT, a abandonné son siège de député socialiste, refusant nettement la politique de rigueur menée par Felipe Gonzalez.
Alors que les syndicats étaient interdits, l’Église a été, quant à elle, flattée par le Caudillo. Cependant, elle avait déjà pris quelque distance. En effet, comme le montre l’auteur, l’Église d’Espagne change vers 1950, évolution qui culminera au moment de Vatican II.
À propos de l’armée, l’auteur nous relate en détail le putsch manqué de 1981, tant du point de vue de sa préparation que de ses ramifications. Puis elle souligne fort justement la nécessité pour l’Espagne de modifier le rapport personnel/armement dans ses dépenses militaires en faveur de ce dernier. Par contre, il est plus difficile de suivre Maria Gouiemot Maeso lorsqu’elle indique que l’armée aspire à une intégration globale à l’Otan. De même, si le référendum de 1986 a été un « succès », il n’en a pas moins provoqué de nombreux problèmes : les difficiles discussions sur les bases et sur les F-16 américains en sont la conséquence.
Quant à la société dans son ensemble, le livre met l’accent sur sa sécularisation et sa libéralisation. Mais si cette société bouge beaucoup – la « movida » fait de l’Espagne la nation européenne la plus à la mode –, elle reste assez stable dans ses fondements. L’Espagne désire passionnément et la démocratie et la stabilité. C’est sans doute ce qui fait la force du Parti socialiste espagnol (PSOE), qui apparaît comme le parti le plus à même d’assurer l’une et l’autre.
Quelques remarques enfin. Tout d’abord une critique : il aurait été intéressant de consacrer un chapitre aux relations internationales, en particulier aux liens de l’Espagne avec le monde arabe et l’Amérique du Sud. Deux remarques élogieuses ensuite : l’auteur traite, dans certains chapitres, des relations France-Espagne. Ce parallèle lui permet de montrer comment les Espagnols ont su éviter certaines erreurs après nous avoir observés… De même, elle nous rappelle, ce qui est tout aussi désagréable, la francophobie des Espagnols. Enfin, il faut signaler l’intérêt pratique du livre qui contient des cartes, de nombreux tableaux et encadrés permettant de faire rapidement le point sur une question ou donnant l’historique d’un problème.
Un livre donc assez complet, pratique, et surtout fort utile pour se faire une idée juste de ce qu’est l’Espagne d’aujourd’hui.♦