L’islamisme radical
Intégrisme, fondamentalisme, islamisme, on dispose de trois termes pour un même mouvement, qui vise à revigorer – et avec quelle vigueur ! – l’islam. Le premier est un contresens ; le second n’est pas mauvais ; le troisième est le meilleur, adopté d’ailleurs par ses promoteurs. Islamisme est si adéquat que Bruno Étienne aurait pu se dispenser d’y accoler radical. C’est qu’en effet, et telle est la conviction de l’auteur, le mouvement dont il s’agit n’est pas une nouveauté ; il se situe dans le droit fil de l’orthodoxie musulmane. Rien de plus orthodoxe que de répandre par tous moyens le message de vérité et de « refuser l’altérité » ; de voir le monde partagé en deux, domaine de l’islam et domaine de la guerre ; de considérer le mauvais musulman comme le premier ennemi et le tyrannicide comme la juste punition du dirigeant impie ; de refuser le nationalisme et de promouvoir l’unité de l’umma ; de chercher dans la « révélation » la solution de tous les problèmes, privés, civils ou politiques. L’islam « constitue la vision la plus globale de toutes les idéologies révolutionnaires » et c’est à juste titre que les islamistes tentent « une réappropriation totalitaire de l’espace politique ».
Que cette thèse soit d’un pessimisme absolu, c’est ce qui apparaît au lecteur, sinon à l’auteur. « L’imaginaire occidental s’est construit une hostilité dramatique à rencontre de l’islam » ; ayant écrit cela en introduction, Bruno Étienne, qu’il le veuille ou non, rationalise cet imaginaire. La présentation d’un islam idéologique renvoie inévitablement au marxisme-léninisme : le Coran fixe le sens de l’histoire, qu’on en remonte le cours pour revenir à la pureté des premiers temps ou qu’on le descende pour établir le royaume de Dieu sur terre, « anticipation des fins dernières ».
L’orthodoxie de l’islamisme fait sa force ; elle explique les difficultés qu’ont les régimes musulmans à s’en défendre. Si l’on ajoute avec l’auteur que l’islamisme est exclusif de la modernisation des mœurs mais non de la modernité, on prend la mesure du phénomène, qui va bien au-delà des caricatures qu’on en fait et tient plus du flot lent mais irrésistible que du raz-de-marée.
Si l’islamisme est un danger pour les dirigeants en pays d’islam, il est pour les chrétiens que nous ne sommes plus une vigoureuse et peut-être salutaire interpellation, que résume fort bien ce mot d’un vieux cheikh à Bruno Étienne : « Lorsque deux religieux s’affrontent, ce n’est pas pour se comparer et se décerner des compliments mais pour se combattre. C’est pour cela que jamais vous ne nous entendrez dire que nous respectons votre religion… De votre part, ce respect à l’égard de la nôtre paraît une abdication ».
La thèse de l’auteur – si sa fougue naturelle et le jargon sociologique dont il use parfois ne nous ont pas empêchés de la suivre fidèlement – nous semble juste. Mais le pire n’est pas assuré et la redoutable cohérence du mouvement islamiste, qui triomphe actuellement, laissera peut-être place à une conception moins idéologique et plus religieuse de l’islam. On regrette qu’en conclusion Bruno Étienne n’ait pas ouvert plus nettement la petite lucarne de l’espérance. ♦