Les Parias de la victoire. Indochine-Chine 1945
9 mars 1945 : Craignant une action des alliés qui ferait basculer l’Indochine française, les Japonais attaquent brutalement les unités franco-indochinoises qu’ils se contentaient jusque-là de marquer. Mené avec la dernière détermination, ce coup de force visait à écraser totalement l’autorité et les troupes françaises dans la Fédération, encore gouvernée au nom de Vichy.
Pour des milliers d’officiers et soldats, français ou indochinois, qui allaient réussir à s’échapper au milieu des pires difficultés, ce fut le début d’une épopée assez extraordinaire. À Ha Giang par exemple, le 9 mars, on échange des invitations tout en flairant la ruse : finalement c’est le major Sawano qui accepte de se rendre chez le commandant Moullet… avec un commando de 6 invités qui vont soudain ouvrir le feu, le verre encore à la main. Moullet s’en sortira cependant, avec quelques survivants. Sur la Rivière Noire, c’est une tout autre scène, qui évoque par sa dramatique improvisation le passage de la Bérézina : les chevaux s’affolent, les véhicules flambent, les canons sautent, un des bacs sombre, mais plusieurs milliers de soldats passent le fleuve impétueux, les derniers sous le feu des japonais. Partout se multiplient les actions héroïques et les scènes tragiques, mais aussi des surprises lamentables et, parfois, des massacres inadmissibles de survivants français.
Une grande partie des unités du Nord de l’Indochine va cependant réussir à se retirer, sur des centaines de kilomètres, à se regrouper en Chine, à y survivre sans ressources, puis à se réorganiser sous les ordres du général Marcel Alessandri. Repassant la frontière au début de 1946, 3 500 hommes de toutes races, dont 1 000 Vietnamiens et 1 000 montagnards formant une petite armée résolue, revinrent enfin dans la haute région du Vietnam et du Laos, trop tard et trop tôt à la fois au regard de l’histoire. Ils étaient des « parias de la victoire », dont la ténacité, le courage et la débrouillardise avaient dérangé tout le monde : la redoutable armée japonaise, les premiers maquis nationalistes vietnamiens, les chinois du Kuomintang menant leur « drôle de guerre », les Américains de Tchong King, riches de préjugés et les représentants de la France Libre, d’abord méfiants et démunis de moyens.
Ce livre est sorti d’une thèse universitaire (José Maigre) sur un point d’histoire qui n’avait jamais été traité en soi. René Charbonneau, journaliste et écrivain connu, ancien officier et acteur de ce drame, a repris en témoin méthodique toute la trame de cet ouvrage qui lui tenait à cœur. Il fait revivre les principaux personnages et décrit des scènes gravées dans sa mémoire et celle de ses compagnons. Au passage – et ce n’est pas un des moindres mérites de ce récit – on aperçoit la naissance du « Vietminh », on apprécie la description parfois savoureuse de la Chine traditionnelle, tandis qu’un éclairage vivant et objectif est donné sur toute l’histoire de la région et sur ce qui allait suivre.
« Les Parias de la victoire » intéressera les lecteurs férus d’histoire militaire et politique, mais aussi tous ceux qui ont quelque souvenir personnel de Chine ou d’Indochine ou, plus largement, qui attendent un récit vivant et bien écrit d’événements dont la réalité était peu connue. ♦