Bartholomé de Las Casas, prophète du Nouveau Monde
Dans un récit de 180 pages suivi de notes et d’appendices, le père André-Vincent (o.p pour Ordre des Prêcheur, Dominicains) juriste de formation et, pendant de longues années, professeur en Amérique latine, nous apporte un témoignage sur une des figures qui a marqué profondément la colonisation espagnole dans cette partie du monde. Bartholomé de Las Casas, fils de colon, est d’abord simple prêtre, aumônier des conquistadores et détenteur à Cuba de domaines en encomienda. Il devient le protecteur des Indiens.
À 38 ans, il rentre chez les Dominicains et il meurt à 80 ans après avoir été longtemps évêque de Chiapas, aux confins du Mexique et du Guatemala. Il est célèbre pour avoir violemment protesté contre le génocide des Indiens, mais on s’aperçoit très vite, dans le livre du père André-Vincent, qu’il n’est en rien une sorte de Don Quichotte isolé, une voix qui clame dans le désert ou une sorte de précurseur des grands révolutionnaires de 1789 ou 1917.
Las Casas a été un implacable censeur de l’avidité et de la brutalité des conquistadores qu’il ne connaissait que trop bien. Il a effectivement mené un long et dur combat, en exerçant une fonction prophétique pour obtenir la « vraie paix ». En même temps il ne met jamais en cause ni l’autorité civile ni l’autorité religieuse. L’Espagne l’écoute. Les Dominicains et les Franciscains le soutiennent, et il a eu dans les premiers des précurseurs qui sont ses maîtres. Il trouve au gouvernement de l’Espagne l’appui du cardinal Ximenes de Cisneros, austère franciscain et premier ministre fidèle du testament d’Isabelle la Catholique, ensuite l’appui des conseillers les plus influents de Charles Quint et Philippe II, des deux rois eux-mêmes qui le garderont dans leurs conseils jusqu’à sa mort. Il en obtint des « lois nouvelles ».
En fait, Bartholomé de Las Casas a provoqué une extraordinaire prise de conscience d’une Espagne qui avait le plus grand mal à se faire obéir au-delà des mers et même à savoir ce qui s’y passait. Le livre conduit cependant à des réflexions qui sont très actuelles. Que peut-on dire du prophétisme qu’invoque le père André-Vincent, car qui peut parler avec l’autorité de Dieu lui-même ? À l’époque de Las Casas, spirituel et temporel étaient difficilement séparables dans la notion de chrétienté, et les hommes d’église occupaient nombre de fonctions officielles. Las Casas a dû agir sur le double plan politique et spirituel. Peut-il en être de même aujourd’hui où l’on distingue nettement ce qui est à César et ce qui est à Dieu ? Ce livre, enfin, alimentera la pensée de ceux qui se préoccupent des liens entre morale et politique, entre morale et emploi de la force. ♦