Dix ans après. Prague 68 à 78
À l’aube de l’année 1968, l’opinion publique tchèque et le parti communiste sont las du conformisme. À la lutte des classes devrait, selon eux, succéder la collaboration de celles-ci pour le plus grand bien du socialisme démocratique. En avril, le parti adopte un programme d’action progressiste. Les fonctions de premier secrétaire sont disjointes de celles du chef du gouvernement et confiées à Dubceck. Le présidium du comité central s’ouvre davantage aux partisans de la libération.
Nul ne conteste cependant l’appartenance du pays au bloc communiste. Mais les autres membres du pacte de Varsovie dressent l’oreille, plus particulièrement la République démocratique allemande (RDA) qui redoute un rapprochement de Prague avec Bonn. Quant à l’URSS, elle se méfie d’une initiative susceptible à ses yeux de compromettre l’homogénéité de l’alliance. Les dirigeants tchèques, Dubceck en tête, sont convoqués à Moscou et admonestés, et les dirigeants des autres pays du pacte de Varsovie vont même jusqu’à convoquer les dirigeants du parti tchécoslovaque à Varsovie. Cette fois, les Tchèques se cabrent et refusent de déférer à cette convocation en posture d’accusés. Ils entendent au contraire aller de l’avant. Un prochain congrès extraordinaire du parti devra mettre en forme le programme d’action et préparer une nouvelle constitution. Mais le coup d’arrêt ne va pas tarder. Les forces du pacte de Varsovie qui ont pénétré dans le pays à la faveur de manœuvres conjointes, n’entendent pas le quitter à la fin de celles-ci. Prague est occupée. Le président Svoboda et des membres du présidium, convoqués à Moscou, y sont soumis à une forte pression. Ils sont contraints de promettre de renoncer à ce qu’il sera convenu d’appeler le « Printemps de Prague », d’épurer le parti, de consentir à ce que la question tchèque soit retirée de l’ordre du jour des Nations unies à New York.
Dans un premier temps, les événements de Prague rencontrent relativement peu d’échos car les grandes puissances n’entendent pas compromettre la détente internationale et l’équilibre des deux blocs. À plus long terme, l’illégalité flagrante de l’intervention paraîtra cependant peu compatible avec l’esprit d’Helsinki, donnera naissance à l’eurocommunisme et sera à l’origine d’une certaine désaffection des partis communistes occidentaux à l’égard du grand aîné de Moscou.
Le public français était encore mal informé des conditions dans lesquelles a avorté le Printemps de Prague. Cette lacune est, pour une part importante, comblée par le livre de Jiri Hajek qui relate ces événements avec objectivité et mesure, encore qu’avec une indignation rentrée, à vrai dire justifiée. Son témoignage est d’autant plus précieux qu’il a vécu les péripéties du drame de 1968 en tant qu’inspirateur du programme d’action, compagnon de Dubceck et ministre des Affaires étrangères.
L’auteur semble penser que, du propre point de vue de Moscou, l’intervention manquait de logique et ne s’imposait pas puisque la fidélité de son pays au bloc soviétique n’a jamais été sérieusement contestée. On peut cependant se demander si Moscou n’avait pas quelques motifs de se méfier d’une tentative intéressante et généreuse, mais teintée de social-démocratie. Autonomie n’est pas indépendance, certes ! Mais ne risque-t-elle pas d’y mener un jour ? Le précédent yougoslave avait rendu Moscou particulièrement méfiante à l’égard des velléités d’indépendance des partis communistes. ♦