La foire aux armes
Le commerce – certains disent le trafic – des armements, tout autant que leur fabrication, sont couverts par un double secret : secret de la défense nationale, mais aussi secret des firmes qui cherchent à déjouer la concurrence. Il n’est pas facile de percer cet écran de camouflage, surtout pour un journaliste, même aussi bien « introduit » que peut l’être Anthony Sampson, auteur de plusieurs ouvrages très documentés sur les « multinationales », les sociétés pétrolières et leurs groupes de pression respectifs.
Manœuvrant avec habileté contre cette façade, l’auteur a cependant réussi sinon à ouvrir des portes et des fenêtres, du moins à ouvrir quelques lucarnes à travers lesquelles le lecteur peut se faire une idée, qui paraît exacte et en tout cas vraisemblable, de ce qui se passe dans le saint des saints des firmes ainsi que dans les instances gouvernementales qui les surveillent de près et dont finalement dépendent leur existence même et leur prospérité.
On regrettera sans doute qu’Anthony Sampson ne se soit vraiment étendu que sur le seul cas des États-Unis. Certes, c’est là que se trouvent les firmes réalisant le plus gros chiffre d’affaires mondial dans le commerce des armes – Lockheed, Northrop… pour ne citer que les principales. Et c’est là aussi où toute une série d’enquêtes parlementaires récentes, menées et publiées avec la minutie, la conscience et la naïveté dont les sénateurs et représentants américains ont le secret, permettent de recueillir un maximum de renseignements ou, du moins, de découvrir les meilleures pistes à explorer.
Ces pistes amènent tout naturellement Anthony Sampson jusqu’aux principaux clients des firmes géantes : l’Iran, le Japon, l’Arabie saoudite… Il nous révèle alors les dessous des tractations qui se déroulent sur place, l’importance des pots-de-vin versés, le rôle des agents et leur personnalité, les luttes sans merci entre concurrents. C’est surtout par ce biais qu’il nous fait faire connaissance avec les activités des moins grands, en décrivant les démarches curieuses de certaines firmes aéronautiques, la propagande agressive de Vickers, les déboires d’Armstrong.
Mais le rôle des gouvernements autres que celui des États-Unis, en particulier des gouvernements européens, n’est pas spécialement approfondi et c’est peut-être là une des lacunes d’un livre par ailleurs très passionnant et qui se lit d’une traite, du moins dans sa partie narrative, car les quelques réflexions philosophiques de l’auteur sur la nature des règles qui président à ce qu’il appelle « le grand jeu des firmes et des États » nous ont paru moins convaincantes. ♦