Les hommes de la Croisade
Jusqu’à présent, Régine Pernoud, docteur ès Lettres, conservateur du Centre Jeanne-d’Arc à Orléans, avait axé ses travaux de médiéviste renommée sur des personnages ou entreprises géographiquement localisés en France. Avec cet ouvrage sur les Croisades, terminé en 1958, revu et corrigé depuis, l’auteur transporte la curiosité du public au Proche-Orient, terre du Christ qui, aux yeux des chrétiens du XIe siècle, ne peut rester sous la domination de l’occupant infidèle. Encore une histoire de croisades ! diront certains… Non. En fait, Régine Pernoud rappelle en introduction les grandes lignes des événements pour mieux consacrer ensuite tout son livre à l’essentiel, à savoir l’étude des acteurs de cette aventure unique, de leurs motivations, de leurs succès et de leurs échecs… C’est dire que, tout en ne négligeant pas la chronologie, l’historienne s’est attachée à jeter un éclairage sociologique sur cette période de deux siècles.
La première période des États chrétiens installés en Terre Sainte (1099-1187) semble se caractériser par la prédominance des groupes sociaux (les pauvres, les barons, les clercs…), et c’est normal car la croisade est l’affaire de tous les chrétiens. La seconde période qui court de 1190 à 1291 semble être dominée plutôt par les marchands et plus encore par de fortes personnalités politiques d’Europe : Richard Cœur de Lion, Frédéric II, Saint-Louis. La faiblesse interne des établissements francs en Orient appelle alors du « sang neuf » venu de l’Occident.
Ainsi, le mérite de l’ouvrage de Régine Pernoud est-il de souligner les contacts sans cesse croissants entre l’Orient, terre de mission, et l’Occident chrétien, pourvoyeur d’hommes, d’organisation sociale, de modèles architecturaux. En outre, Régine Pernoud fait surgir de l’ombre des figures de femmes remarquables alors que l’historiographie traditionnelle fait des croisades une entreprise exclusivement masculine. Les problèmes « techniques » ont aussi leur place alors qu’ils sont bien souvent éludés – or, la construction des forteresses, le financement et la propagande pour les croisades relèvent l’autre face, moins mystique, du phénomène de la Guerre sainte.
On regrettera toutefois que l’auteur n’ait pas consacré plus de développement aux contacts qui se nouèrent sur place entre chrétiens et musulmans. Les relations entre ces deux « mondes » ne se limitent pas au plan conflictuel : elles s’inscrivent dans le cadre des rapprochements diplomatiques (c’est le cas avec la secte des « Assassins ») ou des cohabitations avec les fellah ruraux soumis à la domination franque. Souhaitons que l’auteur y consacre un jour un nouveau livre aussi intéressant. ♦