Quatre ans pour changer le monde
Ce livre du rédacteur en chef du quotidien Les Échos révèle sa connaissance des États-Unis à la fois ancienne et profonde. Le titre de son dernier chapitre « Pari sur la nouvelle Amérique » projette sur l’ouvrage un éclairage qui montre les convictions profondes de l’auteur. Prenant à son compte une phrase du biophysicien américain John Rader Platt : « le monde est devenu trop dangereux pour que nous puissions nous contenter d’autre chose que de l’utopie », Marc Ullmann affirme en somme que l’Amérique de Carter est la seule à pouvoir réaliser cette utopie. Pour cela, il lui faut, sur le plan international, diminuer le risque de guerre mondiale, et sur un plan intérieur, « dépouiller la société d’une organisation calquée sur le modèle militaire ». Ce pari sur les États-Unis, l’auteur le fait pleinement mais en conservant les yeux ouverts, c’est-à-dire sans dissimuler qu’il peut être perdu pour trois raisons, dont nous inverserons l’ordre de probabilité d’occurrence tel qu’il ressort de l’exposé de Marc Ullmann.
Pour lui, les deux dangers les plus grands semblent venir, d’une part, du déchirement intérieur des États d’Europe qui, s’il débouchait sur des expériences autoritaires de gauche, entraînerait « un repli de l’Amérique sur elle-même », et d’autre part, d’une politique extérieure plus interventionniste de l’URSS qui contraindrait les États-Unis « au lieu de construire une utopie, à s’enfermer à nouveau dans le concept de puissance ». Mais le dernier danger cité par l’auteur est, à nos yeux, le plus grave, et le plus probable : « Cette nouvelle Amérique, convaincue de son bon droit, mais inconsciente de sa force, peut se montrer insuffisamment généreuse ». Ce qu’il faut aujourd’hui pour éviter l’affrontement des intérêts, c’est un Plan Marshall mondial dont, seuls, les États-Unis peuvent être les initiateurs. Hélas, si l’on s’en tient aux résultats des récentes consultations ou négociations de Londres et de Paris, on en est loin.
Marc Ullmann a très bien vu que le premier test de la nouvelle Amérique est d’ordre intérieur : les Américains sont-ils prêts à accepter le plan énergétique de Carter, c’est-à-dire à consentir les sacrifices nécessaires au maintien des équilibres économiques et financiers internationaux, condition essentielle à l’instauration d’un nouvel ordre économique par des voies pacifiques ? Les oppositions qu’il rencontre au Congrès laissent mal augurer de son adoption. À tout le moins on peut craindre que des retouches n’en modifient profondément la portée. Notons à ce sujet la qualité de l’analyse et la clarté du propos de Marc Ullmann qui, en moins de dix pages, effectue une synthèse brillante de ce problème complexe et en fait ressortir les points clés.
L’auteur met aussi parfaitement en relief la fragilité de la passerelle étroite sur laquelle les Occidentaux sont engagés, l’urgence de l’action à entreprendre : « pour gagner la bataille de l’énergie, comme pour établir la paix au Moyen-Orient, l’Amérique a besoin de temps. Seule l’Arabie peut en donner ».
En somme, selon Marc Ullmann, nous avons accepté de vivre dans un système économique où d’autres détiennent les clés de notre destin et nous n’aurions d’autres ressources que de parier sur l’Amérique pour nous tracer la route à suivre.
Une autre conclusion peut s’imposer si l’on puise dans cet ouvrage la résolution d’œuvrer pour reprendre en main les rênes de notre avenir. Loin de nous inciter au renoncement, en suivant ou non le chemin de l’Atlantique, il nous rappelle en effet la nécessité de poursuivre sans relâche nos efforts pour assurer l’indépendance de la France et, par elle, celle de l’Europe. ♦