Ce que je n’ai pas dit
Bien entendu, ce nouvel ouvrage qu’Edmond Jouhaud consacré à l’Algérie, ouvrage qui se veut interprétatif et non plus factuel comme les précédents, ne convaincra que ceux qui le sont déjà de la légitimité du combat mené par Jouhaud et l’OAS. On ne peut dire, cependant, que ce soit un ouvrage partisan, car ce terme implique presque toujours une dose importante de mauvaise foi et de contre-vérités. Il s’agit plutôt ici d’un ouvrage passionné. Nul ne saurait en faire reproche à l’auteur dont on connaît l’attachement quasi viscéral à l’Algérie aussi bien qu’à la France, ce qui, évidemment, lui interdit de considérer le drame algérien comme une simple péripétie. On le lui reprochera d’autant moins que cette passion, qui sourd à toutes les pages du livre, en constitue le principal attrait.
On ne manquera pas de constater, en tout cas, à quel point cette passion qui l’animait se révéla, dans le cas de Jouhaud, mauvaise conseillère. Elle est la cause d’un singulier rétrécissement de son champ de vision, qui l’empêche de considérer les hommes et les événements dans la plénitude d’un contexte plus vaste que celui qui pouvait, à un instant donné, prendre naissance sur le Forum, dans la rue d’Isly, ou dans le bled. Dès lors, s’agissant de l’action, toutes les erreurs de jugement devenaient possibles. Et, dans le domaine de la réflexion, on risquait fort de tomber dans l’illusionnisme.
Edmond Jouhaud fait suivre ses témoignages et ses interprétations d’une centaine de pages, bien documentées, consacrées à des considérations historiques et philosophiques sur l’installation de la France en Algérie, sur l’Islam, la colonisation et leurs conséquences. Il voudrait nous amener à conclure avec lui que toutes les difficultés d’une coexistence pacifique entre les deux communautés sont venues de l’incompréhension du pouvoir métropolitain. La thèse n’est pas nouvelle, ni les arguments qui servent à l’étayer. Ce qui ne lui enlève pas de sa valeur, mais réduit quelque peu son intérêt en tant qu’élément de l’actualité.
Car Edmond Jouhaud, manifestement, espère que son livre viendra occuper, de lui-même en quelque sorte, une place dans cette actualité. Et c’est sans doute là son illusion majeure. Pour la grande masse des Français, l’Algérie, « c’est fini », quelles que soient les séquelles douloureuses encore perceptibles dans le quotidien.
Ne soyons pas surpris cependant, si les hommes sincères et courageux qui se sont battus, comme ils ont pu, pour faire triompher l’idée d’une Algérie française, éprouvent aujourd’hui amertume et indignation et refusent de baisser les bras devant ce que d’autres estiment inéluctable. ♦